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Paris… le roman

L’œuvre de l’auteur britannique, Edward Rutherfurd, rappelle celle du regretté auteur américain, James Michener (1907-1997). Spécialiste chacun du « roman historique », ils choisissent un endroit—un lieu—et racontent sur 800 ou 900 pages son histoire à travers la vie de personnages, voire de familles, fictifs. On se souviendra, entre autres, des classiques de Michener : Pacific Sud, Hawaï, Chesapeake, Pologne, Texas, Alaska et, le plus important en ce qui concerne les francophones d’Amérique, Colorado Saga. Dans ce dernier roman, grâce au personnage de Pasquinel, Michener met en lumière les aventures héroïques et les mésaventures, à l’occasion débiles, des voyageurs et coureurs de bois qui ont tant marqué l’histoire du continent et l’imaginaire des Canadiens français.

Rutherfurd (nom de plume de Francis Edward Wintle), quant à lui, emploie la même recette. Ingrédients : un lieu, des familles, un cadre temporel. J’avais commencé à lire London, paru en 1997. Rendu au tiers du livre, page 325 environ, j’y ai renoncé. Trop long, trop lent, trop méconnu l’endroit ! J’aurais dû me reprendre avec New York, paru en 2009, mais l’épaisseur du livre et surtout la petite taille des caractères m’ont fait hésiter.

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À la fin de mon adolescence, j’ai passé deux ans à Paris, la sillonnant jour après jour en Lambretta. Mes amis m’appelaient « La Poche » parce que je connaissais la ville comme ma poche. J’habitais divers secteurs : Vincennes, Nanterre, le 14e, le 16e, le 18e, Châtillon, Colombes et Clichy. À partir de 1980, j’ai eu l’occasion de la visiter périodiquement, chaque fois renouant avec le connu et découvrant l’inconnu. J’adore Paris ! Par conséquent, en épiant Paris, the novel sur l’étagère chez Barnes & Noble, aux États-Unis, je ne pouvais ne pas l’acheter et le lire…malgré son épaisseur (809 pages) et ses petits caractères (font 10).

En 26 chapitres, Rutherfurd nous fait suivre six familles, du Moyen Âge (1275) jusqu’à la deuxième Guerre mondiale, avec, en plus, un épilogue que les situe au cœur des événements de 1968 : les de Cygne, membres de la noblesse, les Renard et Blanchard de la bourgeoisie, les Gascon de la classe ouvrière, les Le Sourd, prolétaires de gauche, et les Jacob, juifs. Avec eux, on vit l’époque des Lumières, la Guerre des religions, la Révolution française, la Terreur, la crise de la Commune, les deux Guerres mondiales, mais pas de manière chronologique. Rutherfurd nous fait de petits aller et retour entre les époques sans toutefois perdre le fil du récit global.

Deux cartes, l’une de « Paris ancienne » et l’autre de « Paris moderne », facilitent la poursuite de la saga et permettent de localiser l’action.

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Tout cela est bien intéressant ! L’auteur fait même un clin d’œil au Canada. Au XVIe siècle, un membre du clan de Cygne s’y serait installé. Son descendant fera irruption à la fin du récit.

Ce qui est moins intéressant pour qui cherche à comprendre la Paris d’aujourd’hui, c’est qu’aucune mention n’est faite de l’élaboration au cours du XIXe d’un vaste Empire français ni de la décolonisation de ces territoires qui s’en suit au cours des années 1950 et 1960. À vrai dire, malgré l’épilogue, l’histoire romancée de Paris racontée par Rutherfurd, s’arrête à la Libération. Le lecteur ou la lectrice reste sur sa faim, surtout à la suite des attentats de la semaine dernière dans les locaux de Charlie Hebdo et à la Porte de Vincennes.

Comment, en écrivant un roman historique sur la capitale de l’Hexagone, ne pas tenir compte de l’immigration des 70 dernières années et de l’arrivée massive en France, et à Paris en particulier, de dizaines de milliers de musulmans issus des anciennes colonies ? Pourquoi ne pas combler le trou béant du récit (1945-2010) en insérant dans la trame une famille ou deux supplémentaires, les Kouachi ou Coulibaly, venus respectivement du Maghreb et du Sahel. Celles-ci auraient permis au romancier de compléter le tableau d’une Paris, non pas « moderne », mais « contemporaine », une Paris absolument transformée depuis les cinquante dernières années, une Paris dont le 19e  arrondissement, par exemple, ressemble davantage à Alger, Bamako et Dakar qu’à la ville de Napoléon III, du Baron Hausmann et de Charles de Gaulle.