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Doctorat honoris causa attribué par l’Université de Saint-Boniface à Dean Louder: son allocution

Monsieur le lieutenant gouverneur, Monsieur le chancelier, Monsieur le recteur, distingués invités, chers collègues et amis et, surtout, fiers finissants que je félicite en ce grand jour.

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Recevoir un Honoris causa à deux pas de la tombe de Louis Riel, ce n’est pas rien ! C’est une collègue de l’Université de Calgary d’origine mauricienne qui me l’a rappelé dernièrement. J’en suis très ému et bien reconnaissant, d’autant plus que nous sommes réunis dans ce lieu historique dont on a su conserver la magnifique façade à la suite du terrible incendie de 1968. Celle-ci nous sert de témoin des grands événements qui se sont déroulés ici, à la confluence de la Rouge et de l’Assiniboine.

C’est en mon nom personnel et au nom de tous les géographes du Québec qui ont cru à la Franco-Amérique et qui en ont fait la promotion, malgré certaines remarques désobligeantes de la part de collègues et d’administrateurs de leurs universités, que je reçois ce parchemin. Aujourd’hui, vous faites honneur non seulement à moi, mais à Eric Waddell, Cécyle Trépanier, Christian Morissonneau et Jean Morisset. Merci beaucoup.

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Ma quête, celle de découvrir et de faire revivre au Québec et en milieu minoritaire francophone le souvenir des Français d’Amérique a commencé en 1975 à la lecture d’un texte en anglais écrit par Clark Blaise, un écrivain canado-états-unien, conçu—conçu dis-je bien—à Winnipeg en 1939.

D’abord quelques mots sur Blaise dont le père Léo Roméo Blais est né à Lac-Mégantic, au Québec, en 1905. En 1937, celui-ci se marie en troisièmes noces avec une charmante femme de Winnipeg rencontrée à Montréal. Le couple élit domicile ici même, dans la ville de madame. Léo n’était pas fier de ses origines, au contraire. Sa vie durant, il a tout fait, mais sans succès, pour en effacer le souvenir. C’est pour cela qu’à la veille de la naissance de leur premier et seul enfant, Clark, Léo a conduit son épouse à Fargo, au Dakota du Nord, afin que le bébé naisse au pays de l’Oncle Sam et évite ainsi « la malédiction de naître Canadien français » ! Par la suite, Léo Blais a roulé sa bosse un peu partout aux États-Unis : Ohio, Leesville, en Floride, Pittsburgh, avant de mourir en 1978 à Manchester, NH sous le nom de Lee R. Blaise.

Entre temps, le petit Clark a grandi. Il a eu la chance de fréquenter d’excellentes universités et de devenir un écrivain de grande renommée. Le mystère entourant ses origines a fait en sorte qu’il fasse un voyage initiatique au Québec et qu’adulte, il apprenne le français. En 1975, dans une nouvelle intitulée Tribal Justice, il écrivait ce qui suit qui m’a été donné de lire :

My father told it to me over beers in a bar in Manchester (N.H.) as though he were giving me an inheritance. One of my uncles, the one who’d gone to California had taken the easy northern route across Ontario and the prairies, then down the west coast lumber trails without missing a single French messe along the way. All America is riddled like Swiss cheese with pockets of French.

À partir de cette lecture, ma quête a commencé. Je me suis mis à la recherche de ces gens-là. Bien des années plus tard, nos chemins se croisent et je raconte à Clark Blaise l’impact sur ma vie personnelle et professionnelle de ces trois petites phrases tirées de son œuvre. Sa réponse : « but Dean, It was fiction, I made it up! » Mais non, ce n’est pas de la fiction, c’est une réalité, une vérité. Vous, ici aujourd’hui, en êtes une preuve partielle.

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Lors de la présentation qu’a faite de moi, M. Fauchon, il fut question de mon passage au Manitoba en 1982, accompagné de mes étudiants. Nous avons profité de l’occasion aussi pour monter la rivière Rouge jusqu’au Minnesota afin de rencontrer Virgil Benoît, ici présent aujourd’hui, et d’autres Canayens de Gentilly, Terrebonne et Red Lake Falls. Virgil nous a ensuite emmenés à Belcourt dans la réserve Montagne à la tortue, collée sur la frontière entre le Dakota et le Manitoba, où tous, sans exception ou presque, portent un patronyme à consonance française. Et de là, avant de revenir à Saint-Boniface, nous avons fait un crochet, passant par Saint-Léon, Saint-Claude et Notre-Dame-de Lourdes.

Vingt-cinq plus tard, seul, je suis passé par Willow Bunch, en Saskatchewan. Dans le grand jardin du presbytère, encore gris et aux arbres dénudés, Mme Lorraine Bouvier, originaire de Sainte-Thérèse, à quelques kilomètres de là, travaille à quatre pattes à nettoyer les dégâts du long hiver, raclant et enlevant les feuilles mortes en vue de la belle saison. Elle me présente à son mari, Henri (photo à droite). Sur le coup, je ne les avais pas reconnus, pourtant….

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Au fil de la conversation, j’apprends que ce couple fransaskois a fait carrière dans l’enseignement au Manitoba et qu’à leur retraite ils ont décidé de quitter le village de Saint-Léon pour réintégrer leur Saskatchewan natale. Willow Bunch, Talle-de-saules, n’ayant plus de curé résident, ils se sont portés acquéreurs du presbytère.

Saint Léon ! J’y étais allé en 1982 accompagné d’une vingtaine d’étudiants. En apprenant cela, Lorraine s’exclame, « Mais vous êtes le prof de Laval ! Nous avons accueilli vos étudiants chez nous à Saint-Léon. Ils y étaient couchés mur à mur ! »

Voilà donc, ce qui est et ce qui devrait être encore davantage la Franco-Amérique : des réseaux caractérisés par des liens d’amitié et d’amour. Pour illustrer davantage, je vous fais lecture d’un poème écrit par un étudiant, Yves Jardon, lors de notre passage en juin 1987 chez les Franco-Terre-Neuviens à Port-au-Port :

À la Grande Terre

À l’Anse-canards

À Cap-Saint-Georges

Les amitiés complices des âmes

Aux accents perdus dans l’espace

On débarque et on reste

J’y ai senti les coups des vagues

Dans la gigue de vos pieds

Le chant du monde

Au bout d’une terre nouvelle

Entre à chaque porte

Rencontre une amitié

Les bras ouverts aux mains tendues

Le cœur à cœur a son air

Laisse-toi aller

La grève à galets roule sous les vagues

Une autre musique au vent

Pêcheur de morues et de homards

Je vous entends chanter

Que la musique vient de la mer

Et quand la mer et partout

Hier à Ottawa, dans le cadre du Congrès des sciences humaines et sciences sociales de la Société royale du Canada, eut lieu une causerie sur le thème Voir Grand au cours de laquelle le sociologue et l’humaniste acadien-franco-ontarien-québécois, Joseph Yvon Thériault évoqua l’actualité des francophones d’Amérique à l’aune de l’histoire de la Franco-Amérique. Il cernait les défis contemporains auxquels les francophonies québécoise et minoritaires font face, les défis qui sont les nôtres. Je nous invite, vous et moi, à nous procurer un exemplaire de son allocution et à contempler ses propos. Après lecture, chacun pourra se poser la question, « et moi ? moi, là-dedans, comment pourrais-je, en tant que Franco d’Amérique, faire fleurir cette francophonie qui me tient à cœur, comment voir plus grand que ma communauté afin de tisser des liens avec les Québécois, les Acadiens, les Franco-Canadiens des autres provinces et les Franco-Américains qu’ils soient de la Nouvelle-Angleterre, de Floride, de Louisiane, du Midwest ou de la côte ouest…et les Haïtiens de Port-au-Prince, Miami, New York, Boston et Montréal, pourquoi pas ? Je vous souhaite de découvrir le vaste Archipel de la Franco-Amérique, de vous déplacer, comme je le fais depuis tant d’années, à travers ses îles et îlots. Bon voyage en Franco-Amérique et bon voyage dans la vie !