Document : 1773-06-17

Références / localisation du document

BM Bordeaux, Manuscrit MS 1480, Annexes, 1er Dossier : Mémoire et lettres de 1766 à 1774.

Date(s)

1773-06-17

Auteur ou organisme producteur

Abbé de L'Isle-Dieu [Isle Dieu]

Destinataire

Acadiens (en particulier ceux de Rochefort ?)

Résumé et contenu

L'abbé de Lisle-Dieu aux Acadiens : annonce de l'établissement. Recommandation et éloge de Lemoyne (peut-être parce que ce dernier a déjà eu des problèmes avec eux ?). Quelques personnes irritées par les Acadiens ont répandu des préjugés contre eux.

Le Roi s'est enfin décidé à les établir et à leur céder des propriétés. Lemoyne a été chargé par le Roi et le commissaire général de la marine d'aller annoncer la bonne nouvelle et les instructions aux Acadiens.
L'abbé de l'Isle-Dieu nomme les Acadiens "mes chers enfants". Rappel de son attachement aux A. Rappel des sacrifices qu'ils ont faits (Religion et Roi) et qui ne laissent pas le Roi indifférent ; c'est pour cela qu'il a décidé de les établir. Les vues du Roi et du contrôleur général (et secondairement, de L., leur agent) sont motivées par la compassion. Les A. doivent chercher à se rendre digne de cette bonté et remercier le ciel de leur avoir envoyé de tels bienfaiteurs.
Recommandation particulière ensuite de L. : certes les Acadiens regrettent l'abbé Le Loutre qui a tant oeuvré pour eux auprès de la Cour, mais ils n'auraient pas pu espèrer meilleur "remplaçant" que L. dont le seul but est le bien public. Peut-être certains connaissent L. ? Au moins ceux de son département le connaissent et peuvent en parler. L. a d'ailleurs du mérite car certains (pas nommés) ont donné des Acadiens une image négative : "Car il faut l'avouer et ce serait vous mal servir que de vous le dissimuler, on avait donné de vous des préjugés défavorables ou du moins on avait essayé et on y avait en partie réussi et il faut avoir autant de douceur déliant (?) dans l'esprit et d'intelligence qu'en à M. Lemoyne pour réussir à détruire les impressions qu'on avait données de vous mes chers amis". Exhortation donc à suivre les conseils et les avis de L. en toutes circonstances, de se reposer sur lui et de lui donner lieu d'être content de ses efforts et de continuer à les défendre contre ceux qui médisent d'eux.
L'abbé de L'Isle-Dieu précise que son 85e anniversaire est dans quelques jours, sa vue décline : il ne peut plus s'occuper de rien que de prier pour eux. Il est ami avec Lemoyne. Ils peuvent compter sur lui, malgré le "petit mécontentement que plusieurs de vous ont donné à votre père commun et moi" [pas plus de précision]. Que les innocents désapprouvent au moins les coupables et l'abbé pourra juger.
Salutations dans le seigneur.

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DSCN0270.JPG f° 44.
Lettre de l'abbé de L'Isle-Dieu
17 juin 1773. Acadiens.
Aux familles Acadiennes établies à Rochefort et aux environs.
Lettre circulaire adressée aux différentes familles acadiennes qui se trouvent aujourd'hui en France presque sans ressource et pour ainsi dire depuis longtemps sans asile, que le Roi s'est enfin déterminé à établir pour les mettre en état de subsister au moyen des terres que sa majesté a permis qu'on leur cédât en propriété et des fonds qui ont été destinés pour leur aider à y former leurs petits établissements ce dont M. Lemoyne commissaire général de la marine chargé par le Roi et par le Ministre, M. le contrôleur général lui rendra compte pour leur faire connaître les vues favorables de la cour pour elles et la conduite qu'elles auront à tenir pour s'en rendre digne et en mériter la continuation.

Enfin, messieurs, et très chers enfants en notre seigneur, si je peux encore vous donner ce nom et cette preuve de la tendre amitié que j'ai toujours eu pour vous, et du vif intérêt que j'ai toujours pris à vous, et vos pères et pour la plupart et depuis plus de quarante ans, et à vos familles qui me seront toujours chères devant Dieu et auprès des personnes qui pourront et voudront bien vous secourir dans vos peines, et dans le dépouillement où vous vous trouvez depuis longtemps, de tout ce que vous avez eu le courage de sacrifier pour conserver votre religion et plutôt que de manquer à la fidélité qui depuis vos plus tendres années vous avez vouée au Roi votre légitime souverain et toujours regardé comme tel parmi vous. Sa majesté également touchée de ces deux sentiments et de cette façon de penser, dont dans tous les temps on a pris grand soin de lui rendre compte, s'est déterminé à vous établir en France sur des terres qui vous seront concédées en propriété et à destiner un fonds pour vous faciliter le moyen d'y former vos petits établissements et vous mettre en état, par la suite, d'y élever DSCN0271.JPG vos familles, d'y vivre de votre travail et de votre industrie et de leur en donner par votre exemple l'intelligence et le zèle.
Je me crois d'autant plus sur de favorables dispositions du Roi à ce sujet mes chers amis et d'autant plus autorisé à vous en informer que j'ai reçu ordre par une lettre fort détaillée de M. le contrôleur général dont cependant je ne vous détaillerai rien ici, d'autant qu'une simple lettre missive ne la comporterais [Littré : 1° Permettre d'être avec, d'aller avec, de coexister] pas, mais M. Lemoyne commissaire général de la marine - qui a bien voulu se charger de vous remettre ma lettre dans les différentes provinces du Royaume où il pourra vous rassembler pour faire le recensement de vos familles et à qui le Roi et le ministre M. le contrôleur général ont confié le soin et l'inspection de vos établissements - vous expliquera beaucoup mieux que moi les favorables dispositions de sa majesté et qu'elle veut bien consacrer (?) à vous établir dans son royaume et les différents secours de subsistance et de finance, qu'elle veut bien vous accorder et même (sa ?) protection par la suite. Si vous savez vous en rendre digne et vous livrer et même vous abandonner entre les mains de votre souverain que vous devez à jamais regarder comme un véritable père, et ceux qu'il charge de vous appliquer utilement les secours qu'ils veut bien vous donner comme des bienfaiteurs secondaires, quelle humanité et la tendre et bienfaisante charité que notre Saint Religion est seule capable d'inspirer, ont rendu sensible à vos malheurs et disposez à vous secourir aussi utilement, et avec autant de courage, de zèle et de persévérance que l'a fait jusqu'à présent M. Lemoyne. Car c'est de lui en particulier que je veux vous parler.
Je sais mes chers amis et aussi chers que tendres enfants en notre seigneur, tout ce que vous perdu dans le cher et respectable M. Le Loutre, témoin que j'ai été de toutes les peines et soins qu'il s'est donné pour vous auprès de la Cour et des ministres pour vous en attirer seulement un regard de pitié et de commisération, et par là vous les rendre favorables ; il me sera difficile et même impossible de ne pas vous rappeler ici ce que vous devez et devrez à jamais à sa mémoire, mais je ne peux non plus vous dissimuler qu'il n'y avait que la providence seule, cette tendre et commune mère de tous les malheureux, qui pût vous le remplacer par M. Lemoyne, dont le nom ne doit pas sûrement vous être inconnu, et en tout cas vos compatriotes qui se trouvent dans son département peindront sûrement beaucoup mieux que moi les précieuses qualités de son âme, ce que l'humanité et la religion sont capables de lui faire entreprendre et suivre.
DSCN0272.JPG f° 45. Quand se rebuter dès qu'il s'agit de l'utilité publique ou du bien particulier et qui peut les procurer.
Il m'en a trop donné de preuves par toutes les démarches qu'il a faites et réitérées pour vous pour que j'en puisse douter et je vous avoue que j'ai toujours été surpris et édifié de voir que les obstacles qu'il a eu à surmonter n'ont fait qu'irriter son zèle et son courage pour vous sans que rien ait été capable de le ralentir ni de le rebuter. Car il faut l'avouer et ce serait vous mal servir que de vous le dissimuler, on avait donné de vous des préjugés défavorables ou du moins on avait essayé et on y avait en partie réussi et il faut avoir autant de douceur déliant (?) dans l'esprit et l'intelligence qu'en à M. Lemoyne pour réussir à détruire les impressions qu'on avait donné de vous mes chers amis. Mettez donc toute votre confiance, laissez vous conduire par le conseil, n'en écoutez et n'en suivez jamais d'autres pas même le mien s'il était possible qu'ils fussent jamais contraires aux siens. Vous trouverez en lui de la douceur, de l'affabilité, beaucoup de discernement, et d'intelligence mais une sorte de fermeté qui ne porte que le caractère de l'exactitude et de la sagacité dans ses vues et du discernement dans le choix des moyens de réussir dans ce qu'il entreprend. Je vous le répète mes chers amis, vous ne pouvez trop y mettre votre confiance. Ce n'est pas parce qu'il est mon ami que je vous y exhorte mais [parce ?] qu'il est le seul que je connaisse capable de vous expliquer utilement les secours et les bienfaits du Roi et de vous ménager par la suite la protection de sa majesté, mais je vous le dis avec franchise et sincérité, ce n'est pas assez qu'il n'eut pas à se plaindre de vous, il faut pour ainsi dire que vous le forciez à en dire du bien et à se féliciter d'avoir pris votre parti et votre défense fais même et avec succès votre apologie auprès de tout ceux qu'il semble qu'on s'efforçât de donner de mauvaise et de défavorables impressions de vous.
Quant à ce qui me regarde mes chers amis, vous me serez toujours chéris devant Dieu et auprès des hommes qui pourront vous faire du bien, ou vous en procurer, mais à mon âge de 85 ans qui seront révolus le 29 du mois où nous sommes et [vous ?] [jurerait] le mauvais état de ma vue DSCN0273.JPG presque éteinte, je suis devenu pour ainsi dire inutile en ce monde, à moins que ce ne soit pour y prier pour vous, comme je vous prie tous de le faire pour moi. Je conserverai toujours une correspondance soutenue et suivie avec mon respectable ami M. Lemoyne, et tandis qu'il sera content de vous et de votre déférence à ses conseils, comptez sur moi, comme j'ai lieu de croire que vous avez toujours eu lieu de le faire, malgré le petit mécontentement que plusieurs de vous ont donné à votre père commun et moi respectable et à jamais regrettable ami M. L'abbé Le Loutre. Que ceux qui parmi vous en sont innocents désapprouvent au moins ceux qui s'en sont rendus coupables et alors je jugerai bien et favorablement de votre c?ur et de vos sentiments, du moins du côté de la reconnaissance et d'autant mieux que l'ingratitude m'a toujours paru un vice qui dégrade et déshonore également l'humanité et la religion.
Adieu mes chers amis, je vous salue tant en notre seigneur et le prie de tout mon c?ur de vous prendre tenir sous sa sauvegarde et sa sainte et divine protection et ce sera toujours le cri continuel de mes v?ux pour vous mes chers amis.
A Paris ce 17 juin 1773.

Notes

Auteur :
abbé de L'Isle-Dieu : la lettre n'est pas signée, mais le contexte permet de soupçonner que c'était lui et dans cette lettre il parle de son anniversaire prochain, ce qui permet de remonter à sa date de naissance (29 juin 1688) ; le RAPQ précise dans une notice biographique sur l'abbé qu'il est né en 1688. C'est donc bien l'auteur de cette lettre.

Mots-clés

// communication de la volonté du Roi d'établir les Acadiens
// Lemoyne chargé des secours aux Acadiens par le Roi et le contrôleur général
// Acadiens ont fait des sacrifices mais doivent se montrer reconnaissants
// Recommandation très insis

Numéro de document

000014