Document : 1773-07-20a

Références / localisation du document

BM Bordeaux, MS 1480, f°404-407// cf° 215-217 // BM Bordeaux, Manuscrit MS 1480, Annexes, 1er Dossier : Mémoire et lettres de 1766 à 1774.

Date(s)

1773-07-20a

Auteur ou organisme producteur

Abbé de L'Isle-Dieu [Isle Dieu]

Destinataire

Acadiens de Morlaix

Résumé et contenu

lettre de l'abbé de L'Isle-Dieu aux familles Acadiennes de Morlaix : il refuse de faire passer leur mémoire contre Guillot, contre l'établissement du Poitou, et aussi semble-t-il contre Lemoyne, au ministre.

Les Acadiens de Morlaix ont demandé une commission à l'abbé. Ils accusent Guillot d'avoir arrêté la solde à Alexis Trahan [précédemment accusé par Lemoyne dans une lettre d'avoir écrit un rapport négatif sur l'établissement du Poitou]. L'abbé précise que la solde ne peut avoir été arrêtée que sur ordre du ministre. L'abbé s'indigne de ce mouvement de révolte contre Guillot, quelqu'un qui s'est démené pour eux depuis leur arrivée auprès des différents ministres qui ont eu en charge les Acadiens. Plusieurs des Acadiens eux-mêmes ont fait maintes fois l'éloge de Guillot. L'abbé de l'Isle-Dieu lui-même a été témoin des éloges que Guillot (avec l'abbé Meslé de Grandclos) a fait des Acadiens à la Cour. Pourquoi ont-ils perdu confiance en Guillot et Grandclos ?
L'abbé est scandalisé d'apprendre que les Acadiens refusent l'établissement qu'on leur propose et de leur ingratitude. Réprimandes de l'abbé. Il ne veut pas faire passer au ministre leur mémoire contre Guillot. L'abbé a toujours soutenu Guillot ; les seuls arguments apportés par les Acadiens contre G. est le fait qu'il a levé la solde de Trahan. Plaintes contre G. sont injustes et risquent de nuire aux Acadiens.
Si les Acadiens veulent faire passer leur mémoire, ils peuvent l'envoyer directement au ministre. Les Acadiens ont sûrement une copie, sinon l'abbé leur renverra la leur sous enveloppe. Il répète qu'il ne veut pas envoyer une pareille lettre qui "détruirait tous les bons témoignages que je me suis efforcé dans tous les temps de donner de vous".
Les A. doivent penser au mal que leur fera leur mémoire auprès du Roi et du ministre par "le peu d'égards" qu'ils ont pour la "personne respectable qui a bien voulu se charger de votre établissement" [Lemoyne]. Si les A. persistent, l'abbé n'osera plus se présenter au contrôleur général. Le contrôleur général donne des audiences au sujet des A. auxquelles l'abbé a participé (en tout cas à la dernière, où il s'est fait l'avocat des A.). Il faut que les A. soient raisonnables sinon la cour risque de les abandonner. Lemoyne pourrait regretter le bien qu'il leur fait ; ce qui a motivé Lemoyne c'était de savoir les sacrifices que les Acadiens ont faits pour leur Roi et leur religion. La religion ne guide certainement plus les A. maintenant. [lettre complète, contrairement aux pièces annexes ; vérifiée]
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Copie de la lettre écrite par M. L'abbé de L'Isle-Dieu aux familles Acadiennes de Morlaix, en réponse à leur lettre commune du 12 juillet 1773 et datée de Morlaix

Vous avez raison de compter sur mon amitié et sur l'intérêt que j'ai toujours pris et que je prendrai toujours à ce qui vous regardera, mais avez vous bien pensé mes chers amis, à la commission que vous me donnez ? Pouvez vous imputer à M. Guillot le retranchement de la solde de votre confrère le sieur Alexis Trahan et pouvez vous imaginer qu'il s'y soit porté sans un ordre exprès et précis du ministre ! N'est-ce pas lever l'étendard de la révolte contre quelqu'un qui dans la place où il est et votre supérieur et qui y jouit de la confiance du ministre et dans le public de la plus grande réputation de probité, de religion et d'humanité ; est-ce ainsi que vous prétendez répondre aux soins qu'il a pris de vous et de vous protéger auprès des différents ministres qui se sont succédés depuis que vous êtes en France et soutenir l'éloge que vous m'en avez plus d'une fois ou du moins plusieurs d'entre vous faits et répétés dans vos différentes lettres et quelques uns même de vive voix quand j'ai eu l'occasion de les voir à Paris.

Pourrais-je moi même avoir oublié les services essentiels qu'il vous a rendu par les témoignages favorables qu'il a donné de vous à la cour de concert avec M. l'abbé Meslé de Grandclos et qui ont passés par moi ; mais à ce que je vois, vous avez perdu toute confiance en eux et je ne peux imaginer quel en peut être le motif et la cause ; mais qu'apprends-je de plus, mes chers amis ; quoi ! vous refusez hautement la grâce que le Roi veut bien vous faire de vous établir dans l'intérieur de son royaume et sur des terres dont sa majesté vous fait concéder la propriété en consacrant une somme considérable pour vous en fournir les moyens et quelque uns parmi vous ont l'audace et la témérité de dire que ce n'est qu'une faible justice qu'il vous rend. Ah, mes chers amis, on vous donne de bien mauvais conseils et je suis étonné que vous y donniez tête baissée.
Est-ce ainsi que des sujets se comportent vis-à-vis de leur souverain ; ne savez vous pas et pouvez vous avoir oublié que toute ce qui sort de sa main est gratuit et purement grâce ; d'ailleurs, vous vous adressez à moi pour faire passer au ministre un mémoire rempli d'invectives contre M. Guillot votre commissaire ordonnateur. Vous me croyez donc capable de chanter la palinodie [Robert : 1¨ Antiq. Poème dans lequel l'auteur rétractait ce qu'il avait dit dans un poème antérieur.] et de décrier à la cour et auprès du ministre quelqu'un dont j'ai cherché dans tous les temps à accréditer les témoignages favorables qu'il a toujours rendu de vous ; ne serait-ce pas m'exposer à m'entendre dire qu'il a bien été dupe et que je le suis aujourd'hui de vous de vos préjugés et de vos préventions pour les dangereux conseils qu'on vous donne
Et la seule raison que vous m'apportez pour justifier la démarche que vous voulez faire et me porter à l'appuyer c'est le retranchement de la solde d'Alexis Trahan ; est-ce là mes chers amis le moyen d'en obtenir le rétablissement ? Cela produirait sûrement un effet bien contraire et détruirait toutes les démarches que nous avons faites jusqu'à présent pour y réussir sur et d'après les bons témoignages que M. Guillot s'est toujours efforcé de rendre de vous et voila l'homme contre qui vous portez au ministre les plaintes les plus amères et j'ose vous le répéter les plus injustes.
Ce n'est pas que je vous empêche de suivre votre pointe, quoique je la désapprouve totalement ; vous avez sans doute une copie de ce même mémoire ; vous pouvez le faire passer en droiture au ministre qui en portera tel jugement qu'il lui plaira et si même vous le voulez je vous le renverrai sous enveloppe, ce je n'ai pas le courage de faire pour vous une pareille démarche qui détruirait tous les bons témoignages que je me suis efforcé dans tous les temps de donner de vous, et dont vous me donneriez lieu de me repentir ; si j'étais capable de regretter le bien que j'ai essayé de faire.
De plus, mes chers amis, pensez vous bien à l'effet que fera auprès du Roi et du ministre le peu d'égards que vous avez pour la personne respectable qui a bien voulu se charger de votre établissement et qui sûrement ne l'a fait que par principe de religion et d'humanité, et sans aucune vue que celle de vous procurer par vous-même et par votre travail et par votre industrie, une honnête subsistance et vous tirer de la misère où vous étiez ; si vous avez regardé M. Lemoyne comme un homme du commun, vous vous êtes bien trompés ; Pesez donc bien mes simples représentations sur votre conduite présente qui est des plus déraisonnable, et portera sûrement la Cour à vous abandonner. J'en frémis pour vous, quand j'y pense et je ne sais comment je pourrai me présenter devant M. le contrôleur général si vous y persévérez. Vous me feriez passer moi-même pour quelqu'un qui lui en a imposé et surtout dans la dernière audience qu'il m'a donné à votre sujet ; croyez moi, tâchez de regagner la confiance de M. Guillot et de M. l'Abbé Merle de Grand Clos et par là celle de Monsieur Le Moyne qui aurait bien lieu de regarder les démarches qu'il a faites pour vous si vous persévérez à refuser et j'ose dire par là à mépriser le bien que votre souverain veut bien vous faire et s'est déterminé à vous procurer d'après ce qu'on lui a représenté des sacrifices que vous avez fait par attachement pour sa majesté et pour conserver votre religion qui sûrement ne vous guide pas présentement dans la conduite que vous tenez.
Adieu, mes chers amis, je vous salue tous en nôtre seigneur et je prie notre divin médiateur de rectifier vos idées et de détruire en vous vos préjugés et vos préventions dont je suis sur que vous vous repentirez tôt ou tard, mais il ne sera plus temps.

A Paris, le 20 juillet 1773

Notes

ancienne fiche @ 247, supprimée (doublon)
1773-07-00 (postérieur au 12 juillet puisque c'est en réponse à une lettre des Acadiens du 12 juillet 1773, datée de Morlaix.
[à noter que le mot "métropole" n'est jamais utilisé ; pourtant il existe déjà : DHLF : "métropole désigne l'Etat par rapport à ses colonies (1748, Montesquieu), à des territoires extérieurs (on recourt parfois à son équivalent, mère patrie) ; "métropolitain" apparaît en 1777]
à noter qu'il y a aussi des ratures dans cette lettre (une du moins) parce que la personne qui a recopié le texte a recopié deux fois la même ligne. Donc, chaque fois qu'il y a des ratures, cela ne veut pas dire que c'est un brouillon.

Mots-clés

// suspension de la solde d'un agitateur (Trahan)
// pétition contre Guillot, l'établissement et Lemoyne
// remontrances de l'abbé de l'Isle-Dieu
// éloge de Lemoyne
// sentiments patriotiques des Acadiens
// Morlaix

Numéro de document

000015