Document : 1798-03-17

Références / localisation du document

AGI, Papeles Procedentes de Cuba, legajo 197, fo. 951, 960, 966, 967, 973

Date(s)

1798-03-17

Auteur ou organisme producteur

Olivier Terrio, acadien

Destinataire

M. Don Manuel Gayoso de Lemos notre nouveau gouverneur

Résumé et contenu

Précis des faits qui ont précédé, effectué et suivi l'émigration de 1700 Acadiens des provinces de France à la colonie de la Louisiane en 1785.

résumé court :
Présentation de Peyroux : homme pas favorisé par la fortune. Cherche à forcer la fortune en voulant conduire les Acadiens en Louisiane. Terrio, lui ne demande rien. Détails sur les circonstances de la rencontre (boutique de chaussure de Terrio), probablement en juin ou juillet 1783. Affirmation de Terrio que toutes les familles acadiennes voulaient se réunir aux familles en Louisiane. Misère de certains acadiens à cause notamment des espoirs dont on les berce. Promesses de Peyroux qui convainquent Terrio.
Récit des débuts difficiles : difficulté de réunir des signatures malgré les nombreuses missives acadiennes partout jusqu'à Lille en Flandres ; après janvier 1784, après réponse favorable, pétition à Vergennes. Intermède de l'emprisonnement par Balais. Récit ensuite de l'incident où Terrio courût le danger de perdre la vie. Terrio devient ensuite l'intermédiaire privilégié du consul d'Espagne, d'Asprès. Terrio ne peut plus exercer son métier, fait des dettes, doit demander aux Acadiens de l'aider au dernier moment. D'Asprès ne l'aide que de six francs. Au dernier moment, allusion à une volonté des Acadiens de ne plus partir. Selon Terrio, c'est à cause des dettes. [c'est peut-être alors que les promesses écrites de d'Asprès du 1785-03-23 sont rédigées ; le problème des dettes n'est vraisemblablement qu'un prétexte].
Terrio doit encore régler ce problème ; d'Asprès veut le forcer à aller trouver Balais ; finalement une autre solution et trouvée et les arrérages de solde des Acadiens sont payés. Départ ensuite pour la Louisiane. Terrio raconte alors comment il est aller trouver Peyroux, que ce dernier a refusé de l'aider, qu'il l'a laissé dans la misère. Terrio est même tombé malade, a failli mourir. A fait trois demandes au gouverneur pour être payé. On lui a dit que ses demandes étaient légitimes, mais visiblement on ne lui a rien donné. Renouvelle donc encore une fois ses demandes.


résumé long :

Le récit commence par un précis historique en partie erroné ou simplifié ; évocation de la déportation, et du passage d'une partie des Acadiens à la Louisiane et en France (en 1763). Promesses d'établissement. Evocation du " prêt " [sic] de six sous par jour, réduit à trois sous = misérable. Parution de Peyroux à Nantes en 1783.
Evocation biographique de la vie de Peyroux : fils d'apothicaire (= origine modeste) originaire des environs de Nantes, séjour de sept ans en Louisiane où il n'a pas fait fortune. Pour forcer la fortune, projet de conduire les Acadiens en Louisiane " près de leurs [comp]atriotes (?) en Louisiane ". Danger de travailler à cette émigration. Recherche d'un " homme obscur " mais actif (= Terrio) (possibilité de se défausser sur lui en cas de problème). Terrio = timide " auprès des gens en place ".
Prétexte d'une réparation de chaussure pour aborder le sujet (Peyroux : " apparemment savait déjà que j'étais Acadien ") [la rencontre a vraisemblablement lieu en juin ou juillet 1783 puisque la pétition de Terrio est portée par Peyroux début août 1783]. Peyroux demande pourquoi les Acadiens préfèrent rester malheureux en France (" chétive solde de trois sous ") plutôt que d'aller " vivre heureux à la Louisiane " (comme beaucoup d'autres familles acadiennes). Terrio répond que depuis 16 ans (on est en 1783 soit depuis 1767 ; on ne sait pas pourquoi) désir de réunion familiale ; allusions à des lettres reçues : " depuis seize ans ces familles ci n'avaient d'autre désir que d'aller se réunir à celles là, et que ce désir ne faisait que croître à chaque nouvelle lettre que nous en recevions ". Mais demandes d'aller en Louisiane = rejetées ou blâmées. Conditions matérielles : Terrio souffre moins de sa situation que de celle de ses parents. Raisons de la misère : maladies ; nombre d'enfants ; découragement, défaut d'industrie, " incertitude et fol espoir des vaines promesses dont on les avait bercés ".
Peyroux répond qu'il est en contact avec Hérédia, secrétaire d'Aranda, ambassadeur d'Espagne en France. Propose d'être son intermédiaire auprès des Acadiens pour les faire passer en Louisiane. Promesse de récompense (Peyroux partagera son dernier morceau de pain avec Terrio). Refus, puis hésitations de Terrio, qui finit par accepter.
Récit ensuite des actions de Terrio. Première mission : ranimer les espoirs des Acadiens et faire signer une pétition à l'ambassadeur d'Espagne. Démarches faites à Nantes et environ, mais écrit aussi à Saint-Malo, à Morlaix, à Rennes, à Cherbourg, à Lille. Récolte seulement 4 signatures. Présentation au mois d'août 1783. Evoque ensuite les deux lettres écrites par Peyroux en août 1783 et janvier 1784. Il communique ces deux lettres aux Acadiens, qui, dans la joie, écrivent une requête à M. de Vergennes, ministre des affaires étrangères [1784-04-04]. Réponse de Vergennes le 1784-05-11b. Pendant ce temps, le Sieur Balais, contrarié, fait arrêter Peyroux et chercher à arrêter Terrio. Terrio se réfugie chez Bourgoin, juge criminel du lieu. Ordre finalement de relâcher Peyroux. Evocation de courriers ultérieurs ; inquiétude de Terrio quand il lit dans une lettre de Peyroux qu'il faudra choisir deux pères Acadiens (= pressentiment que Peyroux cherche " à se débarrasser de son bras droit ").
Récit ensuite de l'accident où Terrio courut " le danger de perdre la vie ". Doit aller annoncer aux Acadiens les conditions pour sortir de France et que l'Espagne acceptait aussi les Français mariés à des Acadiennes ; crainte de certains (des Acadiens ou des Français, le texte n'est pas clair à cause des coupures) que la solde soit supprimée pour ceux qui resteraient ; dans une auberge, il est pris à partie par trois individus et frappé de coups de bâtons ; il est sauvé par " d'autres Acadiens du parti ". Va se plaindre à M. d'Asprès qui ne l'aide pas.
Il explique ensuite que M. d'Asprès s'est rendu de Saint-Malo à Nantes pour s'occuper des détails de l'embarquement et comme Peyroux était le plus souvent absent à Paris, c'est Terrio qui devait toujours exécuter les ordres. Il le faisait venir très fréquemment, surtout au début de la mission où il fallait " du secret et de la précaution [?] [par] crainte de se compromettre et d'indisposer la Cour de France ". A cause de cela, Terrio néglige sa famille, doit emprunter. Au moment du départ, les Acadiens doivent se cotiser pour lui permettre de payer ses dettes. Au moment du départ, il a bien exposé sa situation à d'Asprès (Peyroux refuse d'écrire en sa faveur) ; d'Asprès croyait que Peyroux avait soin de Terrio ; il aurait pu le recommander mais ne lui donne en tout et pour tout que six francs qu'il a sur lui.
Le départ est enfin fixé (il avait été retardé car l'une des conditions de l'expédition était qu'il y ait au moins 1600 personnes " au défaut de 1700 qu'on avait demandées "). Mais ultime rebondissement : accord entre la France et l'Espagne pour que les Acadiens ne partent qu'une fois leurs dettes réglées. Problèmes à ce sujet à cause des arrérages de solde. La France nous devait [Terrio s'excuse du terme] six mois de solde (à mon avis davantage). D'un seul coup, les Acadiens décident encore de ne pas partir : " Les Acadiens, se voyant donc si durement serrés entre un débiteur inattaquable et des créanciers autorisés prirent tout d'un coup le parti de ne point partir " [c'est peut-être alors que les promesses écrites de d'Asprès du 1785-03-23 sont rédigées ; le problème des dettes n'est vraisemblablement qu'un prétexte ; il me semble que Winzerling ou Brasseaux font allusion à un autre problème ; à retrouver].
Terrio annonce cela à d'Asprès. Les Acadiens étaient prêts à s'embarquer : évocation des différents navires (Terrio ne se rappelle plus très bien des noms des navires et commet plusieurs erreurs et avoue avoir oublié).
Terrio parle donc à d'Asprès qui lui commande d'aller trouver le subdélégué (d'Asprès sait que le C.G. a ordonné le paiement des Acadiens). Résistance de Terrio qui met en avant la mauvaise volonté du subdélégué qui l'a déjà maltraité. Finalement, d'Asprès après s'être fâché se ravise et envoie son domestique à Rennes chez l'intendant ; finalement le subdélégué paye " quoiqu'il n'y eut point d'argent, disait toujours le subdélégué ". Départ vers la Louisiane le 10 mai 1785. Peyroux passe 10 jours plus tard.

Le récit concerne ensuite l'arrivée en Louisiane (moins intéressant pour mon sujet) et notamment les démêlés de Terrio avec Peyroux.
Entrevue de Terrio avec Peyroux au moment de l'arrivée en Louisiane. Peyroux : " vous êtes mieux que moi. Que me demandez vous ? Je ne vous ai rien promis ".
Terrio s'offusque de ce que lui dit Peyroux ; il a abandonné son métier ; fait des dettes, s'est fait des ennemis (" à Nantes Olivier Terrio était maudit de celui-ci, insulté de celui-là ") ; pendant ce temps Peyroux recevait beaucoup d'argent. Rhétorique assez élaborée qui montre que l'auteur de ce mémoire n'est très certainement pas Terrio lui même, mais un écrivain public, assez doué d'ailleurs. Mise en scène évidente.
Il résume ensuite des lettres de Peyroux cherchant à montrer ce que ce dernier lui avait promis. En réalité, il cherche aussi (surtout ?) à compromettre Peyroux par des extraits de ses lettres où par exemple il dit que les " Espagnols sont longs dans leurs opérations ". Long discours ensuite sur le fait que Peyroux peut effectivement s'appuyer sur le fait qu'il n'a pas fait d'actes notarié ou autre de ses promesses. Terrio est tombé malade à l'arrivée. Il retourne voir Peyroux qui ne l'aide toujours pas et qui se plaint que sa paye n'est que de 50 piastres par mois au lieu de 60. Peyroux suggère à Terrio d'aller voir l'intendant ; Terrio n'a rien à se mettre ; Peyroux lui propose un de ses habits.

A depuis fait trois requêtes qui ont toutes échouées ; la dernière est celle en date du 21 avril 1792 ; elle fut appuyée de deux certificats (1792-04-02 et 1792-04-17) ; le baron de Carondelet, gouverneur, semble avoir dit que sa requête était justifiée, mais ne semble pas l'avoir aidé. Le secrétaire lui a conseillé de bien garder tous ces papiers.
Olivier Terrio se dit père de sept enfants.
Il regrette de n'avoir pu exposer ses griefs sans exposer les torts de Peyroux. Expose sa bonne foi et ne s'est réduit à faire cette demande que parce qu'il a une femme et des enfants victimes de sa crédulité.
Il reconnaît qu'il n'a pas de preuves légales de ce qu'il avance. Terrio est un malheureux " qui n'a depuis 13 ans d'autre consolation que celle d'avoir procuré à l'Etat de bons et fidèles sujets ". S'en remet à la générosité du Roi et espère l'appui du nouveau gouverneur Gayoso de Lemos [nommé le 8 août 1797].

La lettre est signée par Olivier Terrio, habitant de la Fourche, le 17 mars 17[98], très probablement.



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Précis des faits qui ont précédé, effectué et suivi l'émigration de 1700 Acadiens des provinces de France à la colonie de la Louisiane en 1785 ; joint aux lettres et autres pièces probantes à l'appui du mémoire en réclamation de salaire que présente à MM. Descommines [ou Des Commines, cf. notes] (?) [peut-être Pablo Commyns, mentionné dans l'inventaire de Hill] le nommé Olivier Terrio [écrit Tério] l'un des agents de l'émigration, par l'officieuse médiation de M. Le Bretton des Chappelles (?) [pas retrouvé]

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sous le bon plaisir de M. Le Gouverneur général
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En 1755, les Anglais s'étaient rendus maîtres de l'Acadie, colonie française de l'Amérique septentrionale. Ceux des Acadiens qui répugnaient à vivre sous le nouveau gouvernement ennemi de leur chère et malheureuse patrie, abandonnèrent leurs habitations dévastées et se dispersèrent. Une partie de ces malheureux habitants descendit à la Louisiane, où leurs compatriotes les accueillirent, et où ils se fixèrent. Une autre partie, et la plus nombreuse, profita en 1763 de la paix conclue pour se rendre des possessions anglaises en France, où ils vécurent misérablement jusqu'en 1785, répandus pour la plus part en Normandie, en Bretagne et surtout à Nantes. Je dis misérablement car leur prêt [sic] qui était de six sous par jour, pour chacun, fut bientôt réduit à trois sous, en attendant, leur disait-on, qu'on pût effectuer la promesse qui leur avait été faite de leur donner des terres en retour de celles que leur fidèle attachement au légitime souverain leur avait fait perdre. Telle était leur situation en 1783, quand le Sieur Peyroux de la Coudrenière reparut à Nantes où étaient son épouse et sa famille.
M. Peyroux de la Coudrenière, le cadet des trois fils d'un apothicaire des [envir]ons de Nantes avait ci-devant fait une résidence de sept années à la Louisiane où il n'avait pas fait fortune ; et arrivait pour lors de Paris, où la fortune .. [à partir d'ici, le papier est déchiré en partie ; toutes les lignes sont tronquées et l'écriture est très pâle ; la déchirure part en biais en partant de la marge, donc au début il ne manque souvent qu'un mot ; plus bas en revanche il manque souvent trois ou quatre mots, jusqu'à un tiers de la page] lui avait pas mieux ri qu'ailleurs. De tout (ill ...) qu'enfantait son imagination pour corriger cette (?) une fortune rebelle, ce qu'il apprit des familles acadiennes végétant en France depuis 1763 (...) (du ou un) nouveau projet d'ét (...) le plus qu'il pourrait et de les conduire en Louisiane près de leur (...) atriotes que nous avons vus s'y fixer après la conquête de l'Acadie par l (...). Mais le danger que l'on courrait en travaillant ouvertement à cette entre [prise ?] (...) il n'avait pas de commission, d'être puni comme embau (...) fit chercher parmi ces mêmes Acadiens un homme obscur mais acti (...) put, en cas de surprise, désavouer hautement, et qui, en cas de plein suc[cès] (...) lui (... ?) le mérite et l'avantage de l'entreprise. Il jette don[c] (... ) sur le nommé Olivier Terrio, cordonnier, homme qui joignait (...) susdite une extrême timidité auprès des gens tant soit peu au dess (...) et à plus forte raison auprès des gens en place et des personnels de (..). J'a[v]ais (c'est le S. Terrio qui parle), j'avais alors ... (Louise ?) Mad. Peyroux de la Coudrenière. Cette dame (...) (à Nantes) accompagnée de M. son (...)

[verso (beaucoup moins abîmé)] qui apparemment savait déjà que j'étais Acadien et qui, affaire de chaussure terminée, mit bientôt la conversation sur nos familles errantes. Entre autres propos à ce sujet, il me témoigna son étonnement de ce que nous préférassions rester malheureux en France, à la chétive solde de trois sous par jour, plutôt que d'aller, comme tant d'autres familles acadiennes, vivre heureux à la Louisiane. A quoi je répondis que, depuis seize ans ces familles ci n'avaient d'autre désir que d'aller se réunir à celles là, et que ce désir ne faisait que croître à chaque nouvelle lettre que nous en recevions ; mais que nos diverses tentatives à la cour et près des ministres de France avaient été rejetées et même blâmées ; que, quant à moi, si je souffrais, c'était moins de ma propre situation, à laquelle mon métier donnait beaucoup d'allégeance, que de celle de tant d'infortunés parmi lesquels je comptais des parents très proches, que, par les maladies, par le nombre d'enfants, par le découragement, le défaut d'industrie, l'incertitude et le fol espoir des vaines promesses dont on les avait bercés, que toutes ou quelques unes de ces causes, dis-je, tenaient [sic] hors d'état de gagner leur vie. A cela M. Peiroux [Peyroux] répliqua qu'il était en liaison avec M. le Chevalier de Hérédia, secrétaire de M. le Cte d'Aranda, ambassadeur d'Espagne en France. Et que si je voulais le seconder, lui Peyroux, dans ses vues, établir avec lui une correspondance soutenue, être, en un mot, son intermédiaire auprès des Acadiens, à qui je communiquerais toutes ses démarches et leurs résultats, il se faisait fort de les faire passer à la Louisiane, et que j'aurais une part honorable et lucrative dans la récompense qu'un heureux succès lui assurait de l'équitable bienfaisance du feu Roi d'Espagne, Charles 3e de gracieuse mémoire, et qu'au pis aller, si le projet échouait, et qu'il nous arrivât malheur, son dernier morceau de pain [expression écrite en plus gros] il le partagerait avec moi. Tel fut notre entretien dans nos deux premières entrevues. Je résist[ai] d'abord, puis après j'hésitai, enfin je me rendis à ses paroles insinuantes, à ses promesses données ; et me voilà tout d'un coup, d'humble cordonnier de Madame P. de l. C. [sic] devenu le bras droit ou plutôt l'âme damnée de monsieur son mari. Sa tâche était la représentation [souligné], la mienne était l'agence [id.].

Nous convînmes en premier lieu que je ranimerais par tous les moyens qui seraient en mon pouvoir l'espérance abattue de mes compatriotes auxquelles [sic], pour première démarche dans notre projet, je ferais signer une requête à Mr l'ambassadeur d'Espagne, par laquelle nous Acadiens etc[sic] implorions de sa M. Catho. (sous le bon plaisir de sa M. T. Chr.) la permission, les secours et avances nécessaires pour aller à la Louisiane rejoindre nos parents (un mot ill. "d'enhardir" ? ou peut-être "Acadie") et nous établir parmi eux. Je fis les démarches dans Nantes et environs. [en marge : n°1r, 2e, 6e, 7e]

J'écrivis à St Malo, à Morlaix, à Rennes [écrit Rhènes], à Cherbourg, jusqu'à l'Ile en Flandres [Lille]. Adieu métier, adieux les pratiques. Le premier résultat de mon travail ne fut pas d'un bon augure. Nous ne pûmes revêtir la requête que de 4 signatures, y compris la mienne, et c'est en cet état que M. Peyroux la présenta à Paris à S. Exc. le Cte d'Aranda au mois d'août 1783. S. Excellence répondit qu'il ne pouvait rien prendre sur lui, vu que cette requête était d'une nature équivoque par le peu de signatures ; qu'il souhaitait néanmoins que la chose réussit, qu'il allait en écrire à sa cour, et nous appuyer fortement. C'est ce que confirment les lettres ci-contre (n° 1 et 2) qu'il m'écrivit de Paris, le (...) [08 août 17]83 [1783-08-08] et le 24e janvier 1784 [1784-01-24]. Le contenu de ces lettres ayant réchauffé nos Acadiens, à qui je le communiquai, soit par moi-même, soit par la poste ; le fruit de la joie commune fut une requête à M. de Vergennes, Ministre des affaires étrangères, qui la reçut de M. le chevalier de Hérédia, revêtue pour cette fois non de quatre, mais bien de trente signatures (celle-ci incluse sous le no 6 [1784-04-04]). En conséquence de cette requête, le 11 mai 1784, M. de Vergennes écrivit à

[continuation folio 960 ; au milieu, d'autres lettres sont intercalées]
Mr. le Comte d'Aranda la lettre (ci-jointe sous le numéro 7). Pendant que les deux ministres, comme on le voit, s'entendaient si heureusement pour les pauvres Acadiens, il plût à un magistrat subalterne de Nantes qui avait eu vent du train dont allait notre projet, contrariant sans doute en quelque chose ou son amour propre ou ses intérêts ; il plut, dis-je, à ce magistrat, le Sieur Balais, intendant subdélégué, chargé du prêt des familles acadiennes, de se pourvoir contre les deux quidams qui intriguaient involemment [sic] contre sa charge. Et dès qu'il eut appris leur nom, il mit les archers en campagne. Le 21 mai 1784 M. Peyroux de la Coudrenière fut appréhendé et incarcéré par eux, mais je leur échappai et me réfugiai dans la maison de M. Bourgoin juge criminel du lieu, où je restai caché une semaine entière, pendant laquelle j'écrivis à M. de Hérédia la lettre ci-contre (sous le n° 9). En conséquence sans doute des démarches qu'elle occasionna, M. l'intendant de Bretagne ordonna à son subdélégué de relaxer M. Peyroux et de cesser toute poursuite ultérieure contre lui ni ses agents, vu que l'affaire des Acadiens était devenue par de nouvelles considérations de la cour de France d'une nature bien au dessus de son ressort. [en marge : n° 9, 11, 12, 13]
Ce petit triomphe pour nous fut, un mois après, suivi d'un autre : ce n'était rien moins que l'adhésion décisive et authentique des deux cours à nos voeux, consignée dans une lettre de son Exc. M. le Cte d'Aranda à M. Peyroux de la Coudrenière en date du 8 juillet 1784 (n° 11 ci-contre) en vertu de quoi celui-ci m'écrivit le 18 du dit mois la lettre n° 12 (ci-contre). En date du 1er [août ?] suivant, j'en reçus une autre à Nantes, datée de Nantes même, traitant les détails de rendez-vous, d'enrôlement, etc. C'est le n° 13 (ci-contre) où je ne lus pas sans chagrin et sans un noir pressentiment une phrase par laquelle il démontrait que sa confiance en moi diminuerait à mesure que mon utilité s'affaiblirait. La voici : "mais comme la plupart m'est inconnue (la plupart des Acadiens [écrit en italique entre parenthèse]), il conviendra que les Acadiens nomment deux pères de famille pour être présents, afin qu'on puisse exclure les personnes qui voudraient se dire acadiens". Je ne les connaissais plus, les vrais Acadiens, moi qui traitais avec eux depuis 1783 ? Ou bien il voulait donc, petit à petit, se débarrasser de son bras droit ?
Un accident où je courus le danger de perdre la vie, vint (...) [les points de suspension indiquent l'endroit où la page est déchirée, mais il ne manque pas nécessairement toujours de mots] [encore ?] accroître mes chagrins. Voici le fait : lorsqu'il fut question (...) d'informer nos gens que la Cour d'Espagne recevrait les Français mariés avec des Acadiennes, et les étrangers catholiques (...) conditions énoncées aux n° 13 et 17 ci-contre, il me f(...) aller chez divers compatriotes dont quelques uns ne se (...) pas de sortir de France : ceux-ci craignaient qu'une fois (...) partis, on n'en vint à supprimer le prêt de ceux qui rest[eraient] (...) trouvai plusieurs dans une auberge qui me prirent à parti (...) eux m'injurièrent et le plus furieux des trois armé d'une (...) sur moi comme un désespéré m'en frappa de plusieurs (...) sans doute assommé si d'autres Acadiens du parti (...) à grand-peine arraché de ses mains ; échevelé, (...) en sang, c'est à peu près dans cet état que je re(...) d'Aspr (...)

[folio 61, verso] à qui j'en fis ma plainte. "C'est bien fâcheux, me dit M. d'Asprès, que voulez-vous, mon ami ? Il faut prendre patience".
M. le Consul [d'Asprès] s'était transporté de Saint-Malo à Nantes, par ordre de la cour d'Espagne, pour faire l'armement, équipement, en un mot pour mettre ordre à notre départ. M. Peyroux de la Coudrenière était tant à Paris, tantôt à Nantes, le plus souvent absent. C'était donc moi, toujours moi que le consul avait à ses ordres. Aussi n'y avait-il pas de semaine qu'il ne me fit venir, jour ou nuit [souligné], une, deux, jusqu'à trois fois, surtout dans les commencements de sa mission, où il fallait du secret et des précautions pour bien des démarches, crainte de se compromettre et d'indisposer la cour de France. Cependant mon métier n'allait plus, les pratiques m'avaient abandonné et ma pauvre famille pâtissait de cet abandon. Bien loin de gagner, j'empruntais de quoi la faire subsister et il fallait ensuite emprunter encore pour payer les emprunts [souligné] : au point que lorsqu'il s'agit du départ, les Acadiens même pour qui j'avait tant fatigué, tant souffert, se cotisèrent entre eux pour me prêter [souligné] de quoi payer mes dettes en France et c'est en Louisiane, et depuis peu, que je suis parvenu à le leur rendre en entier.
Etant sur notre départ, j'osai exposer ma misérable situation à M. d'Asprès et l'oubli ou plutôt l'insulte (? ; ce mot est barré et en partie rayé) dont M. Peyroux affectait de payer mes services, au mépris des plus saintes promesses, jusqu'à refuser d'écrire en ma faveur. M. d'Asprès m'en témoigna son extrême surprise ayant cru jusqu'à ce jour que M. Peyroux avait eu soin de moi. Indigné de cette injustice criante, et de ce que j'eusse été assez dupe d'attendre au moment du départ pour m'en expliquer "que n'avez vous parlé plus tôt ? Je vous aurais recommandé" (il venait de m'occuper en corvée 24 heures d'arrache-pied) "tenez, voilà six francs, prenez - c'est tout ce que j'ai sur moi". Suis-je assez humilié, pensai-je en moi-même ! Mais ma femme, mes deux enfants m'attendaient : je pris les six francs en remerciant M. d'Asprès et nous recommandant à son bon souvenir.

Enfin notre départ fut fixé à tout le courant de mai, pour tout délai, en 1785. Il avait été déterminé pour le mois de décembre précédent, mais comme une des conditions de l'expédition était qu'il y eut au moins 1600 personnes, au défaut de 1700 qu'on avait demandées, et que cette condition n'avait pu se remplir au temps prescrit, il se passa encore cinq mois qui suffisent à peine à lever tous les obstacles. De toutes les difficultés, la dernière et la moins prévue fut celle qui faillit tout rompre. D'un côté la cour d'Espagne, dans son accord avec la France, était convenue qu'aucun acadien ne partirait sans avoir payé ses dettes : d'un autre côté, la France nous devait [souligné] (qu'on me pardonne le terme) six mois de notre prêt ; arrérage énorme pour des indigents. Les Acadiens, se voyant donc si durement serrés entre un débiteur inattaquable [souligné] et des créanciers autorisés [souligné] prirent tout d'un coup le parti de ne point partir ; ce que le pauvre Olivier Terrio fut obligé d'annoncer à M. d'Asprès.
Tout était prêt pour le départ. 1700 personnes, au moins, hommes, femmes et enfants, allaient au premier instant s'embarquer. Savoir [en marge] : Sur le St Rémi : 400 ; la Bergère, 360 ; Le Malouin [probablement le "Ville d'Archangel, en provenance de Saint-Malo], 320 ; L'Américain [prob. "La Caroline"], 200 [un astérisque renvoie à la note suivante: c'est ainsi que nous l'avions baptisé, faute de pouvoir retenir son vrai nom] ; le Bon père [Le "Bon Papa"] ou Beaumont [en fait deux bateaux différents] : 200 ; deux autres navires dont les noms me sont échappés [L'Amitié] : 250 ; TOTAL : 1730].
C'est alors que je fus trouver M. d'Asprès et lui annoncer la résolution, je puis dire désespérée [souligné] de mes compatriotes. Autre couleuvre qu'il me fallut avaler. Ils ne partiront point ? Non, monsieur, puisqu'ils ne le peuvent sans payer leurs dettes et que pour cela il faudrait qu'on leur paye ce qu'on leur doit. " Ils partiront (répliqua-t-il d'un ton menaçant) et sous dix jours au plus tard. Je n'entends pas payer les frais de délais quant à leurs prêts. Je sais par une lettre de M. L'ambassadeur (d'Espagne) que le ministre des finances a ordonné à l'intendant de Bretagne de payer ainsi allez trouver le subdélégué ". Je pris la liberté de m'en défendre, sur ce que le subdélégué ne voulait pas seulement nous écouter, et par ignorance des affaires je m'attirai encore une furieuse sortie en priant M. le consul de me confier la lettre de M. l'ambassadeur à l'aide de laquelle je m'enhardirais à faire encore une tentative et qui m'éviterait un mauvais traitement comme celui que j'avais éprouvé quelques jours auparavant à la subdélégation, au sujet de quelques détails de notre futur embarquement.
" Je n'en ferai rien me dit M. d'Asprès " (se fâchant de plus bel et m'apostrophant d'épithètes humiliantes). Mais s'étant calmé peu à peu il me dit qu'il voulait envoyer à Rennes aux bureaux de l'intendance pour s'assurer de ce défaut de paiement dont nos gens se plaignaient. D'abord ce fut moi qu'il chargea de cette commission, mais le 29 avril 1785 à onze heure de nuit, prêt à recevoir mon passeport et (...) à partir ; je fis à M. le Consul une observation qui lui (...) envoyer son domestique plutôt que moi ; ce domestique étant espagnol n'était pas exposé à ce qu'on lui fit de [ou des] (...) tions, qui auraient pu m'embarrasser comme Acadien. Bref, cette démarche eut l'effet que nous en pouvions (...) et quoiqu'il n'y eut point d'argent, disait toujours M. le subdélégué, nous fûmes payés.

Nous partîmes donc de France (...) Louisiane, le 10 mai 1785 (et M. Pe(...) Coudrenière, dix jours après nous. Nous arri (...) Nouvelle-Orléans, capitale de la colonie, dont (...) Estavan de Miro était alors gouverneur (...) don Martin Navarro intendant (...). M. l'intendant nous passa en revue, trois jours (...)

[verso] : il demanda des nouvelles de M. de Peyroux et s'il était vrai qu'il eût été emprisonné à cause de l'expédition. Je lui répondis que oui, et que moi, son second, je ne l'avais échappé qu'en me tenant caché pendant une semaine. Vous avez sans doute des preuves de cela par écrit me dit M. Navarro : il faudra me les faire voir. Je le lui promis mais la confiance que j'avais encore en M. Peyroux, la parole qu'il m'avait tirée de lui laisser tout le plaisir et le mérite de faire valoir mes peines comme autant de titres à une juste récompense, sa promesse qu'il m'avait faite et réitérée tant de fois de me présenter et de me protéger auprès des chefs à la Louisiane me furent autant de motifs pour ne rien montrer avant de nous être consultés.
Deux jours après la revue M. Peyroux arriva. Dans la visite que je lui rendis, je lui rappelai mes services et ses promesses et lui dis ce que j'avais cru ne devoir point faire auprès de M. Navarro, sans son consentement. Voilà, lui dis-je, ma tâche heureusement remplie envers vous. J'ai droit d'attendre de vous que vous commenciez la vôtre envers moi - voici sa réponse en propres termes - vous êtes mieux que moi. Que me demandez vous ? Je ne vous ai rien promis. [Tout ce passage depuis " vous êtes mieux " souligné]

J'étais mieux que lui ! [Expression soulignée] En effet, j'avais à sa sollicitation et pour son propre avantage abandonné mon métier, négligé la subsistance de ma femme et de mes deux enfants pendant deux ans. J'avais été honni, j'avais couru risque de la vie, pour des intérêts qui n'étaient pas les miens. J'avais contracté des dettes, et tandis que sur une terre étrangère, mes compatriotes jouissaient d'une paye quotidienne qui les soulageaient en attendant qu'ils fussent rendus au lieu fixe de leur établissement, cette même paye que je recevais passait de mes mains à celles des Acadiens qui m'avaient aidé à liquider mes dettes en France.

J'étais mieux que lui ! [Expression soulignée] J'en conviens, car tandis qu'à Nantes Olivier Terrio était maudit de celui-ci, insulté de celui-là, meurtri par cet autre, parce qu'il cherchait à procurer des sujets à sa majesté catholique et se ruinait en soulageant des malheureux, M. Peyroux, de l'aveu même de ses proches, recevait 1° 3000 Livres tournois de M. l'ambassadeur d'Espagne (qui grâce à ma sottise ne connaissait dans notre affaire que M. Peyroux) ; 2° 2700 autres livres tors [tournois ?] que lui valut le prêt de 18 livres Ts [Tournois] par jour pendant neuf mois, depuis août 1784 jusqu'en mai 1785, époque de notre embarquement.

... Ce que je lui demandais ! [Expression soulignée] Le prix de deux années de veilles et de sueurs qu'un simple artisan, qu'il avait détourné de sa profession obscure mais d'un gagne pain assuré pour une mère et deux enfants, que ses promesses illusoires avaient pourtant fait languir maintes fois après un morceau de pain que leur père ne leur fournissait plus.

Ce que je lui demandais ! [Expression soulignée] Sinon de la reconnaissance, au moins une ombre légère de conscience et de pudeur, qui lui aurait d'autant moins coûté qu'il ne s'agissait que d'une simple déposition en ma faveur. Si on l'accueillait, cette déposition, elle l'acquittait envers moi sinon de la promesse de partager avec moi son dernier morceau de pain mais que dis-je, sa promesse ?

Il ne m'avait rien promis ! Il est bien vrai que ses lettres fourmillent de phrases qui ne laissent pas de donner à penser. On lit par exemple

[folio 967 recto]
n°1 (ci contre : ces propres mots : "comme les Espagnols sont un peu longs dans leurs opérations, cela ira peut-être jusqu'à un mois, mais enfin il faut bien prendre patience. Et si cela réussit comme je l'espère, nous serons amplement [amplement est souligné] dédommagés de nos peines.
n°2 : il me prie, il m'invite à faire toute la diligence possible, il attend impatiemment ma réponse. Je ne dois pas craindre de me compromettre. Il faut que j'aie la complaisance de lui écrire.
n° 12 : il me demande si je veux bien faire savoir à mes compatriotes... les assurer, etc.
n° 17 : (après quelques reproches aux Acadiens sur leurs prétentions) M. l'ambassadeur m'a dit de vous faire savoir etc... Dites leur donc, je vous prie, qu'ils aillent trouver M. le commissaire ordonnateur, etc..

Mais tout cela, ce ne sont que des mots, selon M. Peyroux. Il est encore bien vrai qu'un homme comme lui visité par un consul général, en grande liaison avec un secrétaire d'ambassade et en correspondance fréquente avec M. l'ambassadeur, que M. Peyroux de la Coudrenière, enfin, s'est abaissé à un commerce intime avec un acadien misérable cordonnier, à qui il prodigue soit dans ses conversations, soit dans ses lettres, les phrases les plus mielleuses, les encouragements les plus séduisants.
Mais qu'est-ce que cela prouve ? Y a-t-il entre nous un [à partir d'ici partie déchirée comme sur les autres rectos] (...) sous seing privé ? Existe t-il un acte notoire de nos (...) conventions réciproques ? Convient-il au moins d'un acad(...) verbal avec Ol. Terrio ? Non, mon dieu ! non, bien loin (...) là, il se récrie, et sa conscience aussi ferme qu'un roc (...) me confond par cette triple sentence : Vous êtes mieux que moi, que me demandez vous, je ne vous ai rien promis.

C'est ainsi qu'il me congédia. La douleur, les remords, l'in (...) -tion me déchiraient le coeur, et bientôt une fièvre arde[nte ?] (...) me mit au bord de la fosse.
De deux hommes qui venaient d'enrichir une co[lonie] (...) 1700 habitants, l'un qui en avait tout le mérite (...) eut la moitié des peines, pour surcroît au salaire de (...) recevait encore, à peine arrivé à la Louisiane (...) et cinquante piastres d'appointements atta (...) capitaine. Tandis que son collègue outrag (...) avait encore heureux d'attendre à l'hôpital une (...) pas même obtenir. Que n'ai-je alors cessé (...) pas vu ma femme le lendemain même de son (...)
[verso] d'apprêter au grand air et sur la voie publique sa nourriture, celle de ses enfants et d'un mari encore convalescent.
Je n'aurais pas fait encore un inutile et honteux effort auprès de ce même M. Peyroux, mais quels affronts ne dévoreraient pas un père pour des enfants dont il se reproche la misère ! Je ne l'aurais pas entendu, au lieu de me consoler, se plaindre lui même de ce que sa paye de capitaine, au lieu de soixante piastres sur lesquelles il avait compté, n'était que de cinquante par mois, il fut pourtant par la suite dédommagé de cette injustice [écrit en plus gros] par le commandant du poste de Ste Geneviève des Illinois. Je ne l'aurais pas entendu me répéter définitivement qu'il ne pouvait rien pour moi et que j'allasse plutôt m'adresser à M. l'intendant : je lui représentai que j'étais hideux à voir dans l'état où les fièvres m'avaient réduit, et que je n'avais pas même un habit à mettre. Il m'en offrit un des siens. Je m'en couvris avec la même résignation, mais dans des sentiments bien différents de ceux que m'inspira le bon M. d'Asprès, en m'offrant son écu de six francs.

Et pour terminer, en dernier lieu, ces détails révoltants, je n'aurais pas échoué depuis dans trois tentatives en vaines réclamations et suppliques dont la plus récente fut une requête à M. le baron de Carondelet, gouverneur en date du 21 avril 1792, appuyée des deux certificats n°22 et n°23 (ci-contre) dont l'appointement verbal fut qu'après avoir examiné mes papiers avec attention, il croyait que je pouvais me présenter en cour, et qu'il ferait avec joie ce que la cour ordonnerait en ma faveur, M. son secrétaire même après avoir eu quelque temps ces mêmes papiers, ci-joints, eut la bonté de me dire que je devais les garder avec soin ; et que, fut-ce dans 20 ans ! il ne me fallait qu'une occasion favorable pour leur donner un plein succès.

Ne puis-je me flatter de l'avoir saisie cette occasion tant désirée ? Olivier Terrio, père de sept enfants, victimes ainsi que lui d'un service rendu à l'Etat, dont un heureux collègue a seul recueilli les fruits ; Olivier Terrio serait-il assez constamment malheureux pour n'adresser encore qu'une plainte importune et vaine à d'illustres voyageurs dont les pas sont pour ainsi dire marqués par autant d'actes de bienfaisance ; et qui sont d'avance assurés du succès de l'intercession que j'implore auprès de sa majesté catholique par tant et de si beaux titres que ceux des liens du sang, de la justice et de l'humanité ?

[folio 973]
Si quelque chose répugne à mon coeur, tout ulcéré qu'il soit, c'est de n'avoir pu exposer mes griefs et demander justice sans exposer aussi les torts de l'auteur de mes maux. Mais j'atteste ici par tout ce que l'homme a de plus sacré qu'une basse envie du bien qu'on lui a fait n'a point dicté cet écrit, non plus que la moindre fausseté de ma part. Je dis plus. Si je n'étais époux et père, et si je n'avais chaque jour la douleur renaissante de voir ma femme et mes enfants victimes innocentes de ma folle crédulité, jamais, non, jamais un seul mot de plainte ne fut sorti de ma bouche.
Je ne dissimule pas encore que bien des faits avancés et plusieurs pièces ci-jointes sont dénuées de la preuve légale, comme bien des pertes subséquentes que j'ai essuyées et que j'aurais pu ajouter. Mais je n'intente de procès à personne, et je ne demande à notre gracieux monarque qu'un pur (?) effet de sa pitié royale pour la femme et les sept enfants d'un malheureux qui n'a depuis 13 ans d'autre consolation que celle d'avoir procuré à l'Etat de bons et fidèles sujets. J'espère trouver dans les propres lumières de sa majesté et dans sa bonté vraiment paternelle un supplément infiniment au dessus des formes juridiques perdues dans un laps de 13 années, et dont ma misère actuelle me prive absolument. Aussi me gardé-je bien de former aucune demande positive. Et plein d'une ferme confiance en la justice de ma réclamation, en la généreuse intercession de messieurs De Commines, et de M. Don Manuel Gayoso de Lemos (?) notre nouveau gouverneur sous le bon plaisir duquel je produis cette dernière supplique, j'en attends l'heureux effet en priant le souverain auteur de tout bien d'accorder à sa majesté et à mes dignes protecteurs la félicit(...) la plus parfaite. Tels sont les voeux sincères du suppliant, à la Nouvelle-Orléans, le 17 mars 17[fin déchirée]

Olivier Ter[fin déchirée]
Habitant acadien à la Fourche des [...] chetimachas [La Fourche des Chetemachas] paroisse de Notre Dame (...) l'ascencion

Notes

vu à Séville le 13 avril 2005 ;
date : "17 mars 17[...]" : l'année est malheureusement effacée ; cependant on peut la déterminer au plus près à partir des informations suivantes : Terrio fait allusion à une requête qu'il a faite le 21 avril 1792 ; le mémoire date donc au minimum du 17 mars 1793 ; mais vers la toute fin du document il déclare également qu'il place son mémoire sous la protection de "M. Don Manuel Gayoso de Lemos notre nouveau gouverneur" ; or Gayoso a été nommé en août 1797 ; la lettre date donc très certainement de mars 1798. Par ailleurs, en toute fin du texte, Terrio écrit qu'il est un malheureux "qui n'a depuis 13 ans d'autre consolation que celle d'avoir procuré à l'Etat de bons et fidèles sujets " (donc date probable : 1785 + 13 = 1798). Brasseaux, quant à lui, date le texte du 17 mars 1792, mais pour les raisons évoquées ci-dessus, il s'agit manifestement d'une erreur. Gayoso meurt le 18 juillet 1799, donc la lettre peut éventuellement être datée de 1799, mais c'est très peu probable.

fo 951 : recto très abîmé, en partie déchiré et à certains endroits très pâle ; écriture "professionnelle", probablement un écrivain public. A un moment donné, intervention de Terrio : "c'est Terrio qui parle".
entre le folio 951 et le folio 960 sont intercalés plusieurs folios qui sont en fait les lettres annexées à ce folio
fo 960 : une partie du bas du recto est arrachée, donc illisible (fin de phrases) ; la partie arrachée se trouve dans la marge du verso, donc pose moins de problèmes de lecture
f° 966 : idem
à noter que les points de (...) indiquent un endroit où la page est coupée, mais il ne manque pas nécessairement de mot ou de partie de phrase à cet endroit là.

il est à noter que les pièces jointes à ce dossier sont numérotées de 1 à 23 ou 24, mais la numérotation n'est pas continue ; toutes les pièces jointes au dossier ont été retranscrites ; les pièces numérotées 3, 4, 5, par exemple, n'existent pas dans le dossier. la pièce n°6 est la pétition à Vergennes du 1784-04-04 ; voir ;

revérifié [collationné] une bonne partie du texte, attentivement, le 15 avril 2005 à partir de l'original en cherchant les noms manquants, etc. ; orthographe vérifiée le 21 avril 2005 en même temps que le résumé.

Mots-clés

// secours : misérables (et raison des secours : promesse d'établissement)
// RED : projet de Peyroux de conduire les Acadiens "près de leurs [comp]atriotes (...) en Louisiane". Terrio : "depuis seize ans ces familles ci n'avaient d'autre désir que d'a

Numéro de document

002213