Document : 1766-08-00

Références / localisation du document

BM Bordeaux, Manuscrit MS 1480, Annexes, 1er Dossier : Mémoire et lettres de 1766 à 1774. // AN Col. B 124 // RAPC 1905 p. 371

Date(s)

1766-08-00

Auteur ou organisme producteur

document non signé // Lemoyne [alors commissaire général pour les colonies à Rochefort, selon inventaire série B3]

Résumé et contenu

Brouillon de Mémoire sur les "Moyens d'établir les familles chassées de l'Acadie par les Anglais et retirées en France, ainsi que les familles allemandes d'abord destinées pour les Colonies de l'Amérique, mais qu'il est plus convenable aujourd'hui de garder et d'attacher à la culture dans les différentes provinces du Royaume." Il s'agit de mettre un terme aux secours distribués par le Roi en attachant à la terre les Acadiens et les Allemands, soit sur des terres privées, soit sur le domaine du Roi. L'auteur est en charge de douze familles acadiennes à l'ïle d'Aix. Il préconise qu'il faut absolument faire des Acadiens et des Allemands des propriétaires à court terme, sinon ceux ci risquent de rester à la charge du gouvernement.

Les Allemands et les Acadiens sont désignés par Lemoyne comme "étrangers" - mis dans le même sac. A noter cependant que Lemoyne fait une distinction, dans le même document, entre les Allemands et les Acadiens, les uns partie romains, partie luthériens et calvinistes, les autres catholiques. Il faut faire attention lorsqu'on les répartira.

intégration dispersion : tout en bas, à propos de la religion des Allemands.
"Je fais cette observation sans m'étendre sur les précautions à prendre pour la répartition des familles dans tel ou tel lieu d'une province et dans les provinces même"

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Résumé complet :
"Les familles acadiennes sont à la charge du Roi qui veut bien leur fournir un entretien, jusqu'à ce qu'il leur ait assuré les moyens de subsister de leur travail."
L'auteur a à sa charge 12 familles acadiennes seulement qui coûtent 6 sous par jour + 2 sous pour le logement, + 2500 Allemands qui coûtent également 8 sous par jour, soit en tout près de 30.000 livres / mois. Moyen en vue pour mettre fin aux dépenses : en faire des cultivateurs soit en les plaçant sur des terres incultes de propriétaires soit sur des domaines du Roi.

1. Placement sur des terres de particuliers :
Détail des mesures concrètes à prendre en faveur des Acadiens (fourniture d'outils et d'animaux, les plans, autorisation de prendre du bois etc. ). Crainte des "petits pillages et infidélités inévitables vis-à-vis de gens qui n'ont rien", donc il faut les exempter de redevances pendant au moins 5 ans.
Programme du déroulement idéal des défrichements, saison après saison. Les défrichements pourront se réaliser plus facilement grâce au travail en commun, travail en commun qu'il faut encourager grâce au regroupement des habitations : "Ce travail fait en commun peut se répartir à chaque particulier si l'on place les cabanes successivement et si la répartition des terres se fait contigüement [sic]".
Le C.G. encouragera très certainement les propriétaires (en leur faisant des grâces particulières) à prendre des Acadiens et les Allemands puisqu'il est à l'origine des encouragements pour les dessèchements en 1764.

2. Placement sur les terres du domaine du Roi.
Il n'y aura probablement pas assez de particuliers, notamment à cause du statut juridique de nombreuses terres qui sont communales, donc il faudra que le Roi participe en concédant des terres vagues et vaines de son domaine à des particuliers qui pourront à leur tour se charger des frais de l'établissement. Il faut que le Roi cède les terres à des capitalistes en obligeant ceux-ci à en rétrocéder la moitié aux Allemands ou Acadiens. Il en gardera la moitié pour se dédommager de ses avances.
"L'avantage que le Roi doit tirer de ces établissements est d'un prix inestimable ; il acquiert des sujets, il augmente la population, il s'assure des revenus par la culture, ferment de tous les impôts. Il rend salubre des pays où les eaux sans écoulement croupissant infectent l'air et occasionnent des maladies qui si elles ne détruisent pas les hommes les énervent [Robert : vx. Priver de nerf, de toute énergie] singulièrement".
Insistance sur le fait qu'il faut faire de ces familles des propriétaires (il a changé d'avis par rapport à un projet qu'il avait soumis au duc de Choiseul le 12 juin 1765).
Un article de police doit être traité selon Lemoyne : "Les Acadiens sont tous très bons catholiques romains, les Allemands sont partie romains, partie luthériens et calvinistes. Je fais cette observation sans m'étendre sur les précautions à prendre pour la répartition des familles dans tel ou tel lieu d'une province et dans les provinces même."
Enfin, il faut mettre à contribution les intendants des provinces qui eux seuls peuvent rendre compte des terres. Les Allemands pourraient être placés en Aunis, Saintonge et Poitou [parce que en partie protestantes ?]. Les Acadiens pourraient être placés " dans les quartiers de la Saintonge où il y a le plus de catholiques".
[le mémoire s'arrête là].

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Colonies, août 1766.
Acadiens. Familles Allemandes.

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[brouillon ; copies rapprochées dans vues rapprochées]
Mémoire. Moyens d'établir [en France, barré] les familles chassées de l'Acadie par les Anglais et retirées en France, ainsi que les familles allemandes d'abord destinées pour les Colonies de l'Amérique, mais qu'il est plus convenable aujourd'hui de garder et d'attacher à la culture dans les différentes provinces du Royaume.

Les familles acadiennes sont à la charge du Roi qui veut bien leur fournir un entretien, jusqu'à ce qu'il leur ait assuré les moyens de subsister de leur travail. J'ignore le montant juste de cette dépense mais elle est très forte. Je n'ai sous ma direction à l'Ile d'Aix que douze de ces familles composées au total de 50 têtes. Chaque tête coûte au Roi huit sous par jour. [dans la marge : cet article est à mettre au positif par M. Dubuq qui doit avoir sous les yeux les comptes rendus par les commissaires des différents départements où ces familles sont [sont] en départ]. Les familles allemandes en dépôt à St Jean d'Angély, suivant la revue de juillet ne se montent qu'à 2439 personnes (?). La dépense que le Roi fait pour chaque tête est de 6s pour la nourriture et 2s pour logement et menus frais chauffage, blanchissage, [etc. ?]. L'économie de ces deux sols fournit à tout ces objets ; la dépense par mois en total a cause des frais d'hôpitaux et de régie est de environ 30 000 #. Les vues de M. le Duc de Praslin et de M. Le contrôleur général paraissent être de mettre ces familles en état de travailler et de se passer des secours que le Roy leur fournit aujourd'hui. Le moyen qu'ils ont en vue est d'en faire des cultivateurs et de les attacher aux terres incultes soit en les plaçant sur les terrains
DSCN0173.JPG des propriétaires qui voudront mettre en valeur les terrains qu'ils n'ont pas cultivé jusqu'à présent faute de cultivateurs, soit en leur concédant des terres vagues et vaines des domaines du roi. Il y a donc deux objets à traiter: les moyens de réussir à les placer sur les terres des particuliers et ceux de les établir sur les terres des domaines du Roi. Ces deux moyens se réunissent en un seul, à les confier aux particuliers. Ces étrangers sont sans moyens et sans chefs. Je les traiterai néanmoins séparément. Les grâces à accorder aux particuliers propriétaires actuels (?) ou concessionnaires étant de différentes natures en quelques points. Il est indispensable que le roi accorde aux propriétaires des terres en friche, des privilèges, des grâces qui puissent les déterminer à faire à ces familles, non seulement des cessions, mais aussi des avances. Sans avances les cessions seraient inutiles. Ces avances consistent 1° à laisser prendre, aux nouveaux cultivateurs, sur la terre, les bois et les matériaux nécessaires pour les logements à construire ; 2° à fournir les outils propres à la culture et aux bâtiments ; 3° à fournir un cheptel quelconque en volailles, bétail à laine dès le début et des bêtes de labour à la seconde année ; 4° à faire les frais des principales ceintures d'écoulement (d'écartement ?) et de démarcation des cessions qu'ils pourront faire ; 5° à fournir les 1ères ferrailles et les plans.
DSCN0174.JPG f° 5. (suite) 6° : les petits pillages et infidélités inévitables vis-à-vis de gens qui n'ont rien. Il faut que le propriétaire abandonne son sol et ses avances au moins cinq ans sans en exiger aucun fruit ; trop heureux s'il peut faire des conventions qui leur assurent la rentrée de ses déboursés à la cinquième année. Quelque calcul que l'on puisse faire on ne peut évaluer ces avances à moins de 600 # pour chaque famille de huit personnes à cause de la main d'?uvre que le propriétaire sera dans ce cas forcé de fournir sur plusieurs points. Le Roi veut bien fournir à ce peuple pendant dix huit mois 6s par jour, mais il est essentiel de calculer si son travail après ce temps expiré le mettra en état de subsister et déchargera le Roi des secours qu'il leur a promis. Il eut été à souhaiter qu'on eut commencé ces établissements en été les jours sont longs. Les enfants au dessus de huit ans ...[au vieux] été utiles. Ils peuvent arranger les brandes arrachées, et les racines et chicots, y mettre le feu et répandre les cendres. Mais nous entrons en hiver. Il faut que les cultivateurs abandonnent tout travail pour se loger, qu'ils s'occupent des fossés de ceinturer pour les écoulements et de ceux de démarcation. Le défaut de semailles [en marge : avant l'hiver est un grand mal, les secours que le roi accorde cesseront avant la première récolte]. Quels terrains les cultivateurs auront ils pour ensemencer au printemps ? Les bosses des fossés sur lesquels ils convient qu'ils plantent des haies et des arbres. Il est cependant un remède aux inconvénients de la saison. Il faut l'indiquer aux propriétaires et y contraindre le cultivateur. Beaucoup des travaux indispensables pour l'établissement ne peuvent se faire utilement que par un travail commun et par des
DSCN0175.JPG hommes sur leurs terres (?). ... Les bâtisses et les fouilles des fossés. Qu'on ait attention à n'y employer que les deux tiers des hommes et qu'on laisse le tiers à travailler aux défrichés avec les femmes et les enfants et que ces défrichés soien à la communauté. Il se trouvera au printemps assez de terre découverte pour y ensemencer du blé noir, des pommes de terre et des légumes. Ce travail fait en commun peut se répartir à chaque particulier si l'on place les cabanes successivement et si la répartition des terres se fait contiguement. M. le Duc de Praslin est bien certain que M. le contrôleur général se prêtera à tous les moyens qui pourront déterminer les propriétaires à prendre sur leurs terres les Acadiens et les Allemands. Les encouragements accordés en 1764 pour les dessèchement sont son ouvrage ; Ils sont une suite de vues que le Roi avait démontré en 1761 en accord aux grâces pour exciter les cultures. Maintenant il n'est question que de perfectionner et d'approprier à l'opération actuelle la déclaration de 1764 et de l'arrêt du conseil de 1761. Une interprétation de la part du Roi qui n'en laisse aucune à faire aux préposés aux impositions, aux taxes d'usage et aux droits domaniaux faire jouir de grâces particulières et personnelles les propriétaires et les cultivateurs tout ce que ces deux ministres patriotes désirent sera rempli ; la réussite de leur projet est certaine.
DSCN0176.JPG f° 6. (suite) [en marge : j'ai dit qu'il y avait deux moyens à employer pour établir ces étrangers. Celui de les placer sur les terres de particuliers et celui de les établir sur les terres des domaines du Roi. J'ai traité le premier, je passe au second]. On doit regarder comme certain que l'on ne trouvera pas assez de propriétaires en état de faire des avances ou qui veuillent essuyer des discussions. La plus grande partie des landes, bruyères et marécages dans les domaines des seigneurs particuliers sont communaux ou en tout temps ou après la coupe des herbages. Quels procès ! (?). Ne pouvant espérer que les particuliers suffisent pour remplir les vues du ministère il faut que le Roi y participe. Il le peut en concédant des terres vagues et vaines de son domaine, à des particuliers en état de faire les avances et de se charger des premiers soins indispensables pour ces établissements [en marge : Il sera nécessaire que le Roi accorde la permission de couper le bois nécessaire pour la bâtisse de cabanes. Le mieux serait qu'il cède quelque portion de ses bois le plus près de ses concessions.. Le point de vue d'une propriété utile à transmettre à des héritiers fera risquer ces entreprises mais il faut que l'entrepreneur ait plus d'objets d'espérances que de crainte. Il est possible de le mettre dans cette position. Que le Roi concède et ... inconnu tablement en faveur des entrepreneurs, autrement qui que ce soit ne voudra tenter et se mettre en risque de déguerpir après avoir par des soins et des dépenses considérables donné de la valeur a des terres qui n'en avaient aucunes. L'avantage que le Roi doit tirer de ces établissements est d'un prix inestimable ; il acquiert des sujets, il augmente la population, il s'assure des revenus par la culture, ferment de tous les impôts. Il rend salubre des pays ou les eaux sans écoulement croupissant infectent l'air et
DSCN0177.JPG occasionnent des maladies qui si elles ne détruisent pas les hommes les énervent [Robert : vx. Priver de nerf, de toute énergie.] singulièrement. Jamais on ne tirera parti des Acadiens et des Allemands simples concessionnaires isolés , ils n'ont aucun moyens, ils n'ont aucun chefs, ils sont tous égaux, il faut donc leur adjoindre des capitalistes [DHLF : personne riche en possession d'un capital], que l'on fera propriétaire, aux conditions de procurer à ces familles les moyens de s'établir et d'en faire des quasi-propriétaires et même des propriétaires par les cessions des portions des concessions que le roi fera. Il faut laisser à ces concessionnaires la liberté d'aliéner à tel titre et engagement qu'ils jugeront à propos pourvu néanmoins qu'ils assurent l'Etat des cultivateurs dont ils se chargeront. On doit ce me semble régler l'étendue des concessions à accorder à raison du nombre de familles dont les concessionnaire se chargera. J'estime qu'il faut 50 arpents de landes par chaque famille et aussi 50 arpents de marais quoique de plus grande espérances parce que les travaux pour les écoulements des eaux sont très dispendieux ; il est bon que les concessionnaires capitalistes réserve une portion qui puisse lui donner des espérances et l'engager à travailler pour lui même. Ainsi il faut ce me semble n'obliger le concessionnaire qu'à la cession au plus de la moitié des terres qui lui seront concédées tant dans les landes que dans les marais.
DSCN0178.JPG f° 7. Il me semble qu'une concession de 50 arpents par famille n'est pas exorbitante. Le concessionnaires, je suppose, n'en cédera que 25 dans les landes, et s'en réservera 25 ; dans les marais, il n'en cédera que vingt et s'en réservera trente ; il regardera cette réserve comme un dédommagement de ses avances et des espérances pour sa familles ; il sera nécessité pour ainsi dire à travailler conjointement ; la réussite l'intéressera personnellement ; il travaillera de façon ou d'autre à la rendre certaine. Il faut encore considérer que les terres des landes exigent plus de jachères et aussi qu'il faut que le lot des cessionnaires soit assez fort pour supporter deux ou trois partages de familles. Mais comme une des vues principale du ministre est de décharger la finance du Roi de la dépense que ces familles exigent et d'y fixer un terme, je crois qu'on doit éviter tant qu'il sera possible de laisser aux concessionnaires la liberté de prendre des familles à gage ou pour des entreprises particulières et qu'il faut au contraire les forcer à leur faire des cessions réelles et a en faire des propriétaires. Si on se relâchait a cet égard, les entreprises finies, le travail particulier du concessionnaire terminé, que deviendrait ce peuple ? On ne court point de risque en l'établissant comme propriétaire ; leurs champs sont garants de leur subsistance. Je réformerais en conséquence l'article 3 du projet de règlement que j'avais proposé à M. le Duc de Choiseul le 12 juin 1765 auquel au surplus je
DSCN0179.JPG prie M. le Duc de Praslin et M. Le contrôleur général de donner un coup d'?il pour ce qui a rapport aux privilèges à accorder et à la police. Il est un article de police [écrit polisse (?), alors qu'au dessus il écrit : police] que je n'ai pas traité. Il mérite attention. Les Acadiens sont tous très bons catholiques romains, les allemands sont partie romains, partie luthériens et calvinistes. Je fais cette observation sans m'étendre sur les précautions à prendre pour la répartition des familles dans tel ou tel lieu d'une province et dans les provinces même. La cession des terres exige un travail de Messieurs les intendants des provinces ou le Roi jugera à propos de placer les familles. Eux seuls sont en état de rendre compte des terres vagues qui appartiennent au Roi, de leur position, des moyens d'écoulement et de leur qualité. Je pense qu'il faut concéder les plus propres à la culture, celles qui doivent donner plus d'espérance aux cultivateurs. La Saintonge, L'Aunis et le Poitou peuvent employer tous les Allemands. Les 11 familles d'Acadiens qui sont à l'Ile d'Aix et qui sont composées de 50 têtes [bien ?] à y rester mais cette île appartient aux pp [pères] de l'oratoire qui ne peuvent aliéner. On pourrait les placer dans les quartiers de la Saintonge ou il y a le plus de catholique. [le mémoire semble une nouvelle fois s'arrêter là].

Notes

L'auteur est très probablement Lemoyne, cf. son allusion à ce mémoire dans un mémoire postérieur (en 1772) @ 000007 ; Lemoyne fait allusion à son projet d'établissement des Allemands à Saint-Jean d'Angély ; il est donc très probable que le mémoire sur les Allemands soit aussi de Lemoyne. Il faudra comparer les écritures.
voir (peut-être lié) : Praslin à Lemoyne, 24 juin 1766 : Examinera les représentations qui lui seront faites par les Acadiens de Rochefort. Folio 49, 1/2 page (Col. B 124, RAPC 1905 p. 371)

Mots-clés

// Allemands
// Acadiens
// peuplement des colonies
// projets d'établissement
// Ile d'Aix
// Saint-Jean d'Angély
// différence de traitement selon la religion
// regroupement
// intégration
// dispersion
// RED

Numéro de document

000002