Document : 1773-04-27c // 1773-08-06

Références / localisation du document

BM Bordeaux, Manuscrit MS 1480, Annexes, 1er Dossier : Mémoire et lettres de 1766 à 1774, folio 22s.

Date(s)

1773-04-27c // 1773-08-06

Auteur ou organisme producteur

Lemoyne [quasi certain]

Destinataire

[pour son usage personnel ?]

Résumé et contenu

Mémorandum. Perception locale (oeil jaloux) : Mesures à adopter vis à vis des Acadiens tant à Monthoiron que dans les villes où ils resteront

Brouillon de mémoire (probablement de L.) très intéressant à propos des mesures à adopter vis à vis des Acadiens tant pour ceux qui s'établiront à Monthoiron que ceux (les non-cultivateurs) qui resteront dans les villes et qui risquent d'être victimes de la population locale (parce que la perception de la population locale est hostile). Il faut donc réglementer les droits et les devoirs des Acadiens.
Les Acadiens sont "regardés par le peuple à Saint-Malo avec un oeil jaloux, presque haineux. Le peuple croit que ceux qui travaillent leur vole son pain ; ils sont persuadés qu'ils donnent leur peine à meilleur marché que lui vu qu'ils le peuvent à l'appui d'une grâce dont ils jouissent". Lors de leur arrivée, c'était tout le contraire : "Lorsqu'ils se sont débarqué à Saint-Malo, ils furent chéris, ils étaient dans une position à remuer les sentiments, on ne voyait que leur misère et sa cause, le pays était dépeuplé par la quantité d'hommes surtout de la jeunesse qui avait sa peine ? pendant la guerre ou qui était encore dans les prisons, il y avait infiniment plus de travail que d'hommes. Loin d'être une charge ils étaient utiles." Ensuite, les Acadiens se sont corrompus, sont devenus "méchants" ; ils sont devenus "odieux" et on leur a imposé en retour des impôts, corvées. "Tous sont menacés de devenir la victime des communautés dans lesquelles ils pourront prendre résidence". Il faut donc un arrêt du conseil pour légiférer aussi sur ceux qui ne peuvent être appliqués à la culture [les fameuses lettres patentes ne s'intéressent justement qu'à la colonie du Poitou et non pas aux réfugiés en général]. Il faut accorder des privilèges pendant quelque temps aux Acadiens. L. demande ensuite des exemptions de frais de procédures diverses pour les familles pauvres en général et les Acadiens en particulier. Il continue sur l'exemple (probablement tiré de la pétition précédente) de la mort d'un Acadien à Saint-Servan [il résume le mémoire précédent, et il serait d'ailleurs intéressant de comparer précisément son récit à celui de la pétition]. Il part de cet exemple particulier pour réclamer des frais de succession proportionnels à la fortune de ceux qui décèdent et de la protection pour les pauvres et ceux qui n'ont pas d'appuis (des protecteurs). Il précise que ce problème de succession semble être particulièrement criant à Paris (parce que de nombreux provinciaux y meurent sans protection). Le mémoire semble une nouvelle fois inachevé.

Un court appendice sur le recto, qui ne semble pas particulièrement lié au reste concernant les Acadiens de l'île royale à qui les secours doivent être continués parce qu'ils se sont endettés.

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Acadiens. Législation. Mémorandum. 1773 (au crayon). f° 22.

Diverses observations à ne pas perdre de vue en traitant la partie législative qui aura trait à l'établissement et aux établis dans le terrain de Monthoiron. Il faudra ne pas négliger ce qui peut être intéressant aux autres Acadiens qui n'étant point cultivateurs resteront dans les villes ou lieux qu'ils habitent au moment ainsi qu'aux femmes etc. Il est certain que l'émigration faite d'une résidence, ceux qui y resteront deviendront les victimes de ceux qui ont quelques mains sur la confection des rôles de quelque taxe ou charge que ce soit et que les malheureux Acadiens seront écrasés si on ne décide point quelles taxes, quelles charges, quelles corvées ils devront et comment ils la devront.
Ils sont regardés par le peuple à Saint-Malo avec un oeil jaloux, presque haineux. Le peuple croit que ceux qui travaillent leur volent son pain ; ils sont persuadés qu'ils donnent leur peine à meilleur marché que lui vu qu'ils le peuvent à l'appui d'une grâce dont ils jouissent.
Lorsqu'ils se sont débarqués à Saint-Malo, ils furent chéris, ils étaient dans une position à remuer les sentiments, on ne voyait que leur misère et sa cause, le pays était dépeuplé par la quantité d'hommes surtout [?] de la jeunesse qui avait ou péri pendant la guerre ou qui était encore dans les prisons, il y avait infiniment plus de travail que d'hommes [en marge : loin d'être une charge ils étaient utiles].
Les m?urs des Acadiens encore pures comme celles des enfants rendaient toute leur conduite remarquable. Le c?ur plein de religion, l'attachement le plus démontré au roi, à la France, reconnaissants des bienfaits qu'ils recevaient, zélés pour leurs bienfaiteurs, fidèles avec scrupule dans les engagements qu'ils prenaient, peu intéressés dans les marchés qu'ils contractaient, tels étaient les Acadiens à leur arrivée, tels ils furent quelques années. Ils se sont corrompus petit à petit, ils sont aussi méchants aujourd'hui que les gens du pays.
Le nombre de ceux qui ont conservé de leurs m?urs est si petit qu'il peut aisément se compter. Le pays s'est repeuplé, ils sont devenus à charge. Ils sont devenus odieux et cette haine se démontre en plusieurs endroits. On en a imposé à la capitation, on les a obligés aux corvées, tous sont menacés de devenir la victime des communautés dans lesquelles ils pourront prendre résidence.

L'arrêt du conseil en s'expliquant sur les grâces, exemptions etc, que le roi accordera aux cultivateurs doit ne pas perdre de vue ceux qui ne peuvent être appliqués à la culture. Il est nécessaire de leur accorder des privilèges pour un temps suffisant à l'établissement de leur industrie quelconque.
Voici un autre point qui me paraît bien essentiel, il a trait [renvoi en marge] à toutes les familles pauvres mais je ne considère que les Acadiens. Il serait à souhaiter qu'on put diminuer les frais de scellés, inventaires, ventes de meubles, nominations de tutelle suite de la mort des chefs de famille. Il est possible de mettre ces malheureux à l'abri des mangeries des petits juges de village, des greffiers des procureurs en rendant autant qu'il sera possible de le faire les procédures sommaires, autant qu'il peut être possible ; cela est nécessaire.
Un Acadien mort à Saint Servan donne lieu à cette observation. A peine mort que le greffier s'est transporté, a mis les scellés chez cet homme, a renfermé pour les scellés non seulement les hardes de l'homme mais aussi les plus nécessaires à cette malheureuse mère et à l'enfant âgé de 30 mois. Cette femme réduite au secours que le Roi lui accordait s'est trouvée obligée à quêter le nécessaire à elle, à un enfant, à acheter à crédit. Les chemises de laine de son mari devaient être laissées à l'usage de son enfant, la valeur n'en était pas de [laissé vide] les scellés encore sur ces effets depuis 6 mois se trouveront pour être pourris, s'ils ne le sont pas à peine auront-ils la valeur de 40 # à quoi les frais monteront. Il est affreux qu'en France on n'ait jamais pourvu à ces formes pour les pauvres ; les gens de lois ne devraient pouvoir exiger de frais qu'au prorata de la valeur de ces successions, et les procédures de nomination de tutelle devraient être fixées à la plus modique somme (?) même au simple cours du papier timbré et d'une vacation à très basse taxe. La succession n'excédant pas une somme (?) de ... et à proportion jusqu'à une somme (?) ... si on examinait (?), si on faisait des recherches on trouverait entre les mains des gens de lois ou à périr (?) dans des dépôts des successions sans nombre qui n'ont pu suffire aux frais et des défauts de nomination à tutelle. La succession ne pouvant fournir aux frais ; cette recherche mènerait peut-être à faire connaître la quantité d'individus qui faute d'avoir eu un protecteur un surveillant à son éducation matérielle, sont péris de misère et ont été victimes de la cupidité des juges.
Il est incroyable qu'aucun procureur général, aucun avocat général n'ait tonné contre ce vice de notre gouvernement et n'ait porté à y réfléchir et à y mettre la considération qui aurait fait appliquer le remède. A Paris ce point mérite la plus grande considération, par la quantité de gens des provinces qui y passent avec leurs enfants et qui y meurent dans l'indigence ; les enfants se trouvent dépouillés même des guenilles de leurs parents et absolument abandonnés. Combien périssent de misère à en faire trembler en horreur à l'humanité. Comment (?) ! C'est la loi qui en lui (?) [Le mémoire s'arrête là ; non signé, mais de la main de Lemoyne].

Notes

Photos : 216.jpg et suivantes.
// date : 1773 (au crayon). J'ai mis 1773-04-27 parce que ce mémoire est visiblement postérieur à la pétition des Acadiens de Saint-Malo demandant des exemptions de frais, de tutelle etc... J'ai mis comme deuxième date 1773-08-06 car il semble que dans ce dernier document, on retrouve pratiquement les mêmes phrases que dans le document ci-dessus (cf. ci-dessous). Il se pourrait donc probablement que la date soit plus proche d'août que de fin avril.

// auteur : il est quasi-certain que c'est Lemoyne. Tout d'abord on retrouve pratiquement mot pour mot un extrait de cette lettre dans une autre missive de Lemoyne datée de 1773-08-06 (cf. ci-dessous). De plus, il s'agit probablement de Lemoyne puisque le mémoire précédent fait allusion à la partie législative qu'il faudra envisager prochainement.
L'auteur semble connaître Paris puisqu'il précise que les pauvres y sont mal-traités. Autre indice en faveur de la théorie selon laquelle c'est probablement Lemoyne : il est aussi en charge des habitants de l'île Royale ; par ailleurs, il évoque encore son idée que les étrangers seront persécutés (c'est souvent le cas pour Lemoyne)

L'auteur n'est pas Acadien ; il écrit : " Ils [Les Acadiens] se sont corrompus petit à petit, ils sont aussi méchants [Robert : 1.Qui ne vaut rien (en son genre ou pour qqn) ou 2. qui fait délibérément le mal] aujourd'hui que les gens du pays. Le nombre de ceux qui ont conservé de leurs m?urs est si petit qu'il peut aisément se compter. Le pays s'est repeuplé, ils sont devenus à charge."

Voici par exemple :
1773-08-06 : "On a déjà tenté de les imposer à la capitation, on les force aux corvées, on les menace tous les jours, les grâces qu'ils ont reçues les fait jalouser ; vous n'ignorez pas qu'un étranger qui s'établit dans un village quelconque, s'il n'est pas appuyé, devient la victime de la communauté."
à comparer avec ce texte (1773-04-27c) : "On en a imposé à la capitation, on les a obligés aux corvées, tous sont menacés de devenir la victime des communautés dans lesquelles ils pourront prendre résidence."

D'un autre côté, il faut noter la manière curieuse d'écrire "home" avec un seul "m" dans cette lettre, qui contraste avec la façon d'écrire "homme" dans le mémoire sur les Acadiens (doc # 1) par exemple.

Mots-clés

// perception locale : oeil jaloux
// hostilité locale contre les Acadiens.
// Monthoiron
// demande d'une législation générale pour tous les Acadiens (notamment ceux qui ne cultivent pas)
// Paris
// clémence envers les pauvres
//

Numéro de document

000008