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Un doctorat honoris causa pour un homme d’exception (2e partie)

Le 8 juin 2022, Denis Vaugeois recevait un doctorat honoris causa de l’Université du Québec à Trois-Rivières. L’université tenait ainsi à honorer l’historien, l’éditeur et le bâtisseur d’institutions culturelles qui consacré sa vie à la démocratisation et à la valorisation de la culture québécoise.

Nous vous présentons ici l’allocution qu’il a prononcée lors de la cérémonie.

[Lire aussi la présentation de Lucia Ferretti]

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Chers dignitaires, chers invités et chers diplômés,

Le hasard, et il y en a plusieurs dans ma vie comme dans toute vie d’ailleurs, fait que nous nous trouvons précisément à l’endroit  où mon père, devenu mécanicien dans l’énorme papetière qui s’y trouvait,  a gagné le salaire qui lui a permis d’envoyer ses deux fils d’abord au Jardin de l’Enfance puis au Séminaire. Au décès de sa mère, mon père sera placé dans un orphelinat de Trois-Rivières. Il y est resté un peu plus de deux ans, le temps d’apprendre à lire et à  écrire, le temps aussi de développer un grand respect pour l’instruction. Plus tard, il épousera la maîtresse d’école de son village, Saint-Roch de Mékinac. Obligée de quitter l’enseignement après son mariage, c’était un règlement à l’époque, ma mère prit sa revanche à la maison. Elle n’a pas attendu mon admission à l’école pour m’initier à la lecture et à l’écriture. Elle me faisait apprendre par cœur toutes sortes de textes, des contes ou des fables.

Un second hasard va orienter profondément ma vie. J’ai 7 ans quand ma famille déménage à Trois-Rivières et s’installe dans le quartier Saint-Philippe. J’y fais ma 3e année avec un excellent professeur, Fidèle Fortier, avant d’être enfin admis au Jardin de l’enfance.

Quatre fois par jour, je fais le trajet de la rue Saint-Georges jusqu’à l’angle Laviolette et Notre-Dame.  Le plus souvent, je suis avec Germain Lemire qui est dans ma classe. Il a l’habitude de ce parcours. Un jour d’automne, alors que nous traversons le parc Champlain, une pluie torrentielle nous tombe dessus. Germain se met à courir en direction de la rue Hart et me montre de la main un édifice gris. « Viens, on va se mettre à l’abri! C’est le local des guides ».

Puis il m’entraine vers un gros escalier en terrazzo. Je le suis. Il nous mène face à un comptoir où deux jeunes dames nous accueillent avec des éclats de rire. «  Oh! Oh! Il va falloir vous sécher un peu. Les livres n’aiment pas l’eau! » L’une se tourne vers Germain : « Heureusement que tu n’as pas de livres de la bibliothèque avec toi ». Je comprends que mon ami est un habitué. Tout fier, il me lance: « Denis, regarde, regarde bien…. » Je suis ébahi. Pour la première fois de ma vie, je suis dans une BIBLIOTHÈQUE. Un grand espace, des tables, des chaises et des tablettes qui débordent de livres.

Les deux bibliothécaires se présentent. « Je suis Claire Godbout ». L’autre, avec un beau sourire : « Moi, madame Johnson ». Je n’ai jamais su son prénom. Je l’ai revu il y a quelques années. Toujours aussi rayonnante. « Madame, vous ne pouvez savoir ce que vous représentez pour moi » Elle sentait bien ma sincérité mais s’en étonnait. Ce qu’elle représentait pour moi, c’était énorme. Toute ma vie, j’ai répété ce que je devais aux responsables de la Bibliothèque des Jeunes de la rue Hart.

Ensuite ce fut l’École normale Jacques-Cartier. En face, sur la rue Sherbrooke, il y avait la magnifique bibliothèque de Montréal. Chaque soir, après le tennis ou le ballon-panier, je m’y réfugiais. Je découvrais aussi les trésors de la Salle Gagnon dont je deviendrai un habitué au moment de mes études en histoire.

En 1959, une nouvelle École normale ouvre ses portes à Trois-Rivières. Maurice Duplessis meurt juste à temps pour qu’on lui donne son nom. Installés rue Bonaventure dans les locaux vétustes qui accueilleront ensuite le Centre des Études universitaires, embryon de l’UQTR, on nous fait patienter dans l’attente d’un nouvel édifice prévu sur le boulevard des Forges. Puis, solennellement, on nous en dévoile les plans. Horreur. Les architectes, Caron et Juneau, ont oublié de prévoir une bibliothèque. Je monte au créneau et livre ma première bataille en faveur d’une bibliothèque digne de ce nom.

Ce sera un des fils conducteurs de ma vie. En 1978, on me confie le ministère des Affaires culturelles où on planifie, dans le vide, des bibliothèques publiques depuis l’époque de Lapalme. À la ferme  de mes grands-parents j’avais appris à monter un Bronco ramené de l’ouest. J’enfourcherai le ministère de la même manière. En moins d’un an, nous créons la SODEC sur le modèle de la SOQUIM, SOQUIP, SOQUIA que j’ai appris à connaître au moment de mon passage aux Affaires intergouvernementales. J’avais aussi repéré des réserves budgétaires dans les ententes fédérales-provinciales dans lesquelles je pigerai pour financer le réseau de bibliothèques que j’ai en tête.

Au grand galop, nous mettons au point un plan de développement de bibliothèques municipales. La construction sera subventionnée entre 50 et 75%, les édifices devront être à l’intérieur de la trame urbaine, les projets n’iront pas au plus bas soumissionnaire, l’idée étant qu’il s’agit de lieux de culture et non… de bureaux postes. Également il y aura du financement pour les achats de livres et la formation du personnel. Les élus municipaux répondent avec enthousiasme. En 1979, le Québec comptait 121 bibliothèques municipales, au moment de mon départ, en 1985, il y en a 849.

En arrivant au ministère des Affaires culturelles, j’avais blagué en disant que l’appellation « affaires culturelles » me convenait. Jusque là, le ministère s’était voulu élitiste et axé sur la Culture. Pour ma part, je préconisais des lieux d’éducation permanente et populaire. C’est ainsi que je voyais les bibliothèques et les musées. C’est un peu l’héritage que j’ai laissé et qui, sans doute, me vaut aujourd’hui un doctorat honorifique d’une université que j’ai vu naître grâce aux bons soins de Gilles Boulet, concitoyen de Saint-Tite et co-fondateur du journal Boréal Express. Aujourd’hui monsieur le recteur, madame la présidente, vous me permettrez d’avoir une pensée pour vos fondateurs et tout particulièrement pour Gilles Boulet.

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Johanne Jean, présidente de l’Université du Québec, Denis Vaugeois et Christian Blanchette, recteur de l’UQTR.